Mécréantes
Bienvenue dans Mécréantes, le podcast de Léane Alestra qui interroge en profondeur nos représentations autour du genre.#feminisme #culture #histoire #sociologie
Mécréantes
Comment s'engager ?
Introduction (Léane) : 2016, 2017, 2018, 2019, 2020, 2021. Rien ne semble pouvoir arrêter cette déferlante féministe. Chaque jour vous êtes de plus en plus nombreuses et nombreux à m’écrire pour me dire que vous souhaitez prendre part à ce changement social profond. Mais vous ne savez pas toujours comment faire, vers qui vous tourner, quel mode d’action privilégier. Est-ce que vous êtes à la hauteur ? Je comprends tous ces traversements, je comprends toutes ces interrogations et c’est pourquoi aujourd’hui j’ai décidé de vous amener à la rencontre d’une pluralité de personnalités qui ont décidé de s’engager, chacune à leur façon ont décidé d’être pleinement acteurice du monde de demain. Merci à Morgan-e, merci à Tay, merci à Brieuc, merci à Missandria, merci à Marie, merci à Margaux, merci à Sharone et enfin merci à Elvire d’avoir répondus à mes questions. Cet épisode a été enregistré pendant le second confinement, aussi, certains passages laissent à désirer en termes de qualité audio. Je m’en excuse par avance et je vous promets que c’est normalement la dernière fois que ça arrive puisque j’ai le bonheur de vous annoncer que grâce à la cagnotte Ulule nous pouvons enfin enregistrer dans des conditions beaucoup plus professionnelles à l’avenir. Merci par avance et très bonne écoute à vous.
Léane : Hello Sharone
S : Moi c’est Sharone, j’ai 34 ans, je suis, voilà, issue d’une famille congolaise, de la République Démocratique du Congo. Mais je suis née ici, et j’ai grandi ici, je suis travailleuse sociale dans une association de lutte contre le VIH et en parallèle j’achève une formation de conseillère conjugale et familiale que j’ai terminée ce mois-ci. Je me définis comme étant afroféministe, je milite sur des terrains que j’affectionne, comme des questions liées à la vie affective et sexuelle. En 2014, j’ai co-fondé le collectif « Moi si » et aujourd’hui je milite à travers mon activité professionnelle et de temps en temps sur les réseaux, Instagram, entre autres. Alors en fait j’ai commencé à m’engager dans l’idée de vraiment, déjà, écouter ce dont j’avais envie, c’est-à-dire que moi je me suis toujours définie comme quelqu’un d’assez combatif et soucieuse de la justice sociale. J’ai toujours eu une envie de m’engager pour soutenir des personnes en situation de précarité ou de grande vulnérabilité. Voilà, ça a toujours été un intérêt pour moi. La question du V.I.H. elle s’est surtout posée dans un contexte familial en fait, parce que malheureusement dans ma famille et ma communauté, j’étais relativement jeune quand tout ça s’est passé, mais j’ai été frappé par la manière dont cette maladie avait impacté ma famille, puisque beaucoup de personnes étant infectés au Congo. Mais il y avait aussi tout un travail émotionnel, mais aussi de solidarité qui s’est créé en France, et qui a fait, que du coup, ma famille s’est engagée et ça été très inspirant pour moi, car ça m’a permis de faire le lien entre le Congo et ici, la France. De faire un lien culturel et familial et en même temps, ça m’a donné envie de m’impliquer et m’investir pour des personnes qui vivent ici, qu’elles soient nées ici ou qu’elles viennent d’ailleurs, j’avais très envie de m’impliquer auprès de personnes séropositives, et je l’ai fait autour des années 2008-2009 dans une association qui s’appelait les « Petits bonheurs » où je faisais des accompagnements, des activités à l’extérieur, des visites à domicile, des sorties culturelles avec des personnes, je pouvais leur rendre visite à l’hôpital, et ça a été une expérience significative, car ça a été ma première immersion on va dire, dans la lutte contre le V.I.H. et en même temps ça m’a aussi ouvert les portes d’un secteur d’activité qui m’intéressait. C’était le travail social. Donc voilà j’ai eu envie de m’impliquer dans la lutte contre le VIH, parce que pour moi ça me paraissait important que cette maladie, qui est une maladie politique, qui s’attaque à tout le monde, mais plus on cumulait des vulnérabilités et plus on était exposé à des discriminations et plus je sentais que c’était une maladie qui fragilisait davantage certaines catégories de population, les plus précaires, etc. Et le cumul de toutes ces vulnérabilités, ça m’a beaucoup motivé à m’investir parce que lutter contre le V.I.H. c’est lutter pour les droits des minorités, pour le droit des étrangers, pour l’accès au logement. C’est une lutte qui m’a ouvert plein de portes, mais aussi de réflexions sur les différentes oppressions aussi auxquelles pouvaient être exposés les gens. C’est d’ailleurs ça ensuite qui m’a motivé à m’impliquer dans l’afroféministe. J’ai accompagné pas mal de femmes qui étaient séropositives et qui avaient malgré tout des espaces de discussions, de convivialité entre femmes dans des associations, et ça m’intriguait parce que je me disais que c’est un féminisme qu’on ne voit pas. Un féminisme de femmes migrantes, souvent originaire d’Afrique Subsaharienne ou d’Amérique latine. Et ces femmes qui avaient des espaces de lutte, même si elles ne le qualifiaient pas de féminisme. Elles pouvaient s’exprimer, parler de leur pathologie, et je trouvais ça intéressant, et je me disais que moi, en tant que femme noire, ça m’intéressait beaucoup d’avoir un espace comme ça, composé de femmes avec qui je partagerais les mêmes expériences face au racisme, au sexisme, etc. Donc, ça m’intéressait. Autour de 2013, j’ai eu cette réflexion-là, de créer un collectif et en fait, c’est vraiment en 2014 que je l’ai concrétisé en allant à la rencontre de femmes noires de mon entourage. J’ai un peu connecté des gens que je connaissais autour de moi, des femmes que je connaissais autour de moi, pour monter le collectif « Moi si ». L’idée était de créer un collectif tourné vers toutes les femmes, un collectif afroféministe qui allait être un lieu de lutte, de revendication, mais aussi un lieu où il était possible de mener des actions, mais aussi un lieu pédagogique pour qu’il y soit vraiment un temps d’éducation entres sœurs, où on allait pourvoir s’apporter mutuellement sur nos expériences mutuelles, mais aussi partager nos compétences aux unes et aux autres. Donc je le voyais vraiment comme un espace, certes afroféministe, mais surtout comme un lieu ressource, pour que les femmes noires puissent lutter et s’outiller contre l’hétéroblanc-patriarcat.
Moi j’ai choisi de m’engager pour moi, c’est parti de mon expérience personnelle. Je n’aurais jamais pu créer « Moi si » si je n’avais pas moi-même conscientisé le fait que j’étais moi-même une femme noire, et que en tant que femme noire, j’étais sujette à des discriminations. Je n’aurais jamais pu m’engager pour les autres si je n’avais pas fait déjà ce travail sur moi-même. À un moment donné, il y a des choses que tu vis, tu n’as pas envie de les porter seule, tu as beaucoup de force à le faire avec d’autres. Déjà ça a été pour moi un besoin de survivre et d’exprimer le sujet politique que j’étais. Et ensuite mon engagement, que ce soit dans la lutte contre le V.I.H. ou même dans l’afroféministe, je l’ai d’abord fait pour des communautés afros, au sens large. Qu’il soit queer, cisgenre, valide, avec un handicap, une pathologie ou pas, des ainées, des plus jeunes. On fait partie de minorité qui est exposée à du racisme systémique, donc d’avoir des ressources pour parler de la santé, même au sens large, pour moi c’est très important.
Léane : Bonjour Tay
T : Alors moi c’est Tay Calanda. J’ai 31 ans, je suis italienne, je suis arrivée à Paris il y a 11 ans, quand j’avais 20 ans pour mes études. Maintenant je suis photographe et j’ai eu un peu de visibilité depuis que je suis les collages féminicides Paris en photo. Ma manière de lutter c’est de photographier, toutes mes photos je les fournit libre de droits à la page collage féminicides Paris. Et aussi c’est pour moi le fait d’enregistrer ce qu’il se passe, de photographier ce qu’il se passe, de laisser une trace pour la postérité aussi. Pour que les slogans, même s’ils sont dégradés, ils restent quelque part, par exemple les témoignages. Je pense que c’est super important de les photographier, c’est super important qu’il y ait une trace, qui est pérenne. Et du coup c’est ça que j’aime bien dans cette manière de militer là c’est que c’est comme si j’inscrivait les collages dans un truc beaucoup plus définitif que le côté éphémère du collage sur le mur qui après va être karcherisé ou arraché, ou enlevé.
Je milite pour les femmes, les minorités de genre, pour les causes sociales généralement. Après j’ai milité, très particulièrement, pour les féminicides, pour les collage féminicides, ça c’est ce que j’ai fait cette année. Et je milite parce que j’ai de petites sœurs, des petites cousines, et j’ai des personnes qui ne peuvent pas le faire, donc pour iels aussi. Je milite parce qu’il y a besoin et parce que les autres le font. Donc moi ma manière de militer avec les photos elle dérive directement des actions que les colleureuses font. Donc en vrai je milite parce que je pense que c’est important de les enregistrer. Je milite parce que les autres militent aussi.
Léane : Salut Elvire,
Elvire : Je suis Elvire Duvelle-Charles, je suis co-autrice et co-créatrice avec Sarah Coplantin de Clit Révolution qui est à la fois une série documentaire où on part à la rencontre de personne badass qui utilisent leur sexualité pour combattre le patriarcat et ça a été décliné en livre qui s’appelle Clit Révolution : manuel d’activisme féministe, qui est un livre dans lequel on a récolté les conseils de pleins acteurices féministes qu’on admire pour essayer de pouvoir donner des méthodes sur comment on peut agir de différentes manières, en fonction de ses affinités, de ses compétences. Est-ce qu’on préfère coller ? Est-ce qu’on préfère faire des campagnes virales sur les réseaux sociaux ? Est-ce qu’on préfère lancer une occupation ? Donc c’est ça l’idée. Et c’est aussi un compte Instagram sur lequel on parle d’activisme, de sexualité et de féminisme, car tout cela est lié.
Pour moi la différence entre l’activisme et être militante, il me semble que l’activisme est quelque chose qui est beaucoup plus dans le terrain, et beaucoup dans quelque chose qui est « mis en thème ». C’est-à-dire que tôt ou tard, en tant qu’activiste, c’est d’avoir le plus grand écho possible, l’idée c’est de toucher le plus de monde possible, et pour moi c’est ça être activiste. Alors qu’être militante c’est avoir des convictions, mais ça va aussi se traduire dans des actions plus petites, ou plus dans la diplomatie, donc ça va être plus, je ne sais pas, par exemple : pour les personnes qui s’occupent de mettre à l’abri des femmes ou des minorités de genre victimes de violence, pour moi c’est du militantisme, ce ne sont pas des activistes. Pour moi les activistes ce sont vraiment des personnes qui vont mettre en thème des actions qui peuvent être hyper impressionnantes, et qui vont nécessiter moins de personnes pour mettre en place des actions, qui vont avoir une résonnance et que personnes ne puisse passer à côté de ce que tu viens de faire. En fait, mon entrée dans l’activisme c’était via FEMEN, c’est-à-dire que la première fois où j’ai vu des activistes féministes, c’était en 2011, et c’était 3 ou 4 FEMEN ukrainiennes qui étaient devant chez DSK. C’était le première fois en fait que je voyais des activistes féministes, parce que jusqu’à présent ça devait être Greenpeace, mais du coup c’était la première fois que je voyais des féministes activistes en train de faire un truc que moi, je trouvais à la fois hyper drôle, parce qu’elles avaient un sens de l’humour, et à la fois hyper fort et impactant. Et ces images là elles m’ont fait prendre conscience de plein de choses. À cette époque-là, j’étais harcelée sexuellement au travail, et j’avais plus mis en place des stratégies d’évitement, et en les voyant ça m’a fait un peu un déclic de me dire « Ah mais en fait, ce n’est pas à moi de m’adapter à ces mecs. C’est à eux à s’adapter au fait que je sois là, et ces meufs elles ont grave raison, il faut trop leur foutre la fiche, etc. ». Du coup, un an plus tard elles sont arrivées en France et elles ont commencé à construire FEMEN en France, du coup je les ai rejoints directement et je ne me suis pas trop posé de questions. À cette époque-là, j’avais zéros théories féministes, et vraiment, juste ces meufs-là, elles me parlaient par ce que à côté il y avait d’autres associations féministes qui employaient des mots que je ne comprenais pas forcément. En fait, j’avais l’impression de ne pas trop appartenir à ce monde-là, et de ne pas pouvoir apporter quoique ce soit parce que j’avais l’impression que c’étaient des personnes beaucoup plus intelligentes que moi et que du coup, moi, qu’est-ce que je peux leur apporter en fait ? Pour le coup, quand j’ai rejoint FEMEN, je savais ce que je pouvais apporter parce que c’était quelque chose d’hyper physique. C’est juste avoir du courage. Ça a été hyper révélateur pour moi de m’engager dans FEMEN parce que j’ai appris que j’avais une force en moi que je ne soupçonnais absolument pas et que j’étais capable de faire des choses, franchement je me serais dit ça il y a quelques années : « jamais de la vie ! ». Genre j’ai sauté sur la voiture de DSK, j’ai fait des trucs un peu tarés quand même. Et du coup, ça m’a appris tellement de choses, qu’ensuite, quand j’ai quitté FEMEN et que j’ai commencé à lancer Clit Révolution avec Sarah, on était là : « C’est vraiment dommage, parce qu’il y a de plus en plus de personnes qui veulent s’engager, et de plus en plus de féministes qui veulent s’engager, mais qui ne savent pas comment. » Et nous, on a eu cette chance-là d’apprendre pleins de trucs, parce que quand FEMEN arrive en France, elles avaient déjà 5 ans d’expérience derrière elles, elles avaient déjà testé pleins de trucs. Et nous entre temps, on a fait pleins de trucs aussi : on a fait des parodies, on avait fait des campagnes d’affichage. Et on s’est dit « mais en fait, il faudrait qu’on nous aide aussi parce qu’on a perdu tellement de temps à trouver les trucs qui fonctionnent. Ça serait bien d’avoir un livre dans lequel on puisse compiler les conseils de personnes qui ont déjà testé des méthodes, et qui peuvent te dire : j’ai testé ça, si tu fais ça, il faut bien faire à attention à ça, ça, ça ». Des choses qui peuvent parfois sembler bêtes quand tu as l’habitude de faire des actions, mais qui sont hyper primordiales, de type « qu’elles sont tes droits en garde à vue, comment faire ta colle pour un collage dehors pour que la colle colle bien. » Ça peut être vraiment tout et n’importe quoi. Donc l’idée c’était d’avoir un maximum d’informations sur une sélection de 10 exemples différents et d’essayer d’avoir un manuel hyper pratique, très peu théorique. Ça m’énerve qu’il y ait des meufs qui se sentent illégitimes à faire partie des luttes féministes, si elles veulent être activistes. Et donc l’idée c’était d’arriver à encourager chacun et chacune à pouvoir s’emparer de l’activisme. Parce qu’en fait tu n’as pas besoin de faire partie d’une association, de faire partie d’une OGN énorme, etc. Et même quand tu es tout seul, tu peux faire une action qui a un impact énorme. Nous dans le livre on parle d’Irène, et de son action incroyable où elle s’est baladée en leggings et sans protection menstruelles pendant qu’elle avait ses règles. Et c’est une action qui a eu un impact énorme, elle a été relayée dans plein de médias. Ce n’est pas juste cette action-là qui a permis le fait de faire changer la taxe sur les tampons et de mettre à disposions des tampons dans certaines maries en France, etc. Parce qu’il y a pleins de féministes avant qui demandaient ça, qui martelaient, qui martelaient. Mais en fait ça a permis d’enfoncer le clou et de rendre plus visible ces revendications et ces demandes qu’il y avait de la part de féministes, et je pense que c’est hyper important aujourd’hui en fait, c’est savoir comment enfoncer le clou.
Je m’engage pour tout le monde. Mais je m’engage avant tout pour moi parce que je vivrais très mal le fait de ne pas pouvoir m’engager. Quand tu commences à mettre les lunettes du féminisme, tout d’un coup tu vois plein de choses pas normales, et tu te rends vraiment compte à quel point c’est une domination structurelle, et du coup tu te rends compte de plein d’autres types de dominations qui existent et progressivement tu pètes un câble si tu ne t’engages pas. Moi personnellement, si je ne m’engage pas, si je ne suis pas dans l’action, je ne me sens pas bien. Donc évidemment que je peux dire que je le fais pour l’égalité des genres, pour les minorités raciales, etc. Mais avant tout je le fais pour moi. C’est-à-dire, je le fais, car je ne peux pas le supporter ne fait, donc oui je le fais avant tout pour moi.
Léane : Salut Brieuc,
Brieuc : Bonjour, je m’appelle Brieuc, j’ai 22 ans et on me connaît sur les internet sous le pseudo « les bric-à-brac de Brieuc », mes pronoms c’est « elle » et je suis une personne non-binaire trans féminine. C’est-à-dire que j’ai été assigné garçon à la naissance, mais je m’identifie, je suis, une personne non binaire, et en vraie presque « meuf trans », mais on pourra revenir sur pourquoi je dis non binaire trans féminine. Et je créée du contenu en ligne pour sensibiliser sur les questions de transidentité et de non-binarité et mon objectif principal c’est de créer du contenu francophone qui permet de vulgariser ces questions-là et de s’adresser à la fois aux personnes concernées, qui sont un peu la personne que j’ai pu être quand j’étais plus jeune et que j’avais besoin de ressources, de repères, etc. Et aussi m’adresser aux personnes qui ne comprennent pas tout ça, qui sont un peu perdues. Et qui même parfois sont un petit peu agressives et ne comprennent pas, mais d’une manière, confrontationelles on va dire. Voilà, donner des ressources et avoir un discours qui s’éloigne peut être du cliché qu’ils peuvent avoir de la personne non binaire, transmachin, qui est irrationnel, qui n’a pas d’arguments, qui n’a pas de source, etc. J’ai à cœur ce que je créée, à la fois d’avoir une composante, pas artistique, mais d’avoir une composante une peu jolie, un peu sympa. Mais aussi et surtout que ce soit sourcé et que ça soit le plus factuel possible.
Ma manière de m’engager c’est principalement la création de vidéos sur YouTube, le fait d’être sur les réseaux sociaux et principalement sur Instagram. Ce que je considère comme la chose principale c’est la création de vidéos et j’utilise ce moyen pourquoi ? Déjà depuis que je suis jeune, quand j’étais à l’école, on m’avait fait plusieurs fois la remarque que j’étais assez bonne pour synthétiser une problématique, donc c’est la première chose. Et la seconde, c’est que j’ai un intérêt assez important pour le travail de l’image. J’avais commencé quand j’étais plus jeune une formation pour faire de l’Art appliqué, que j’ai abandonné pour des raisons personnelles, et c’est vrai qu’il y a aussi un épanouissement dans la création de vidéo parce qu’il y a aussi l’aspect : se déguiser, écrire un texte. Je n’aime pas dire que c’est artistique parce que je trouve ça exagéré, mais il y a quand même ce côté épanouissant personnellement, et aussi j’ai testé d’autres manières de militer auparavant. Je suis intervenu dans les écoles quand j’étais plus jeune, je me suis rendu compte que j’aimais transmettre l’information, j’aimais le côté pédagogique, j’aimais transformer des idées un peu abstraites ou complexes en un truc un peu digeste. Mais d’un autre côté je me suis rendu compte que je préférais travailler seule parce que j’ai des problèmes psy, et je n’ai pas forcément la stamina de travailler forcément en groupe, et en plus avec la rigueur et la régularité qu’implique le travail au sein d’une équipe par exemple. J’ai un peu du mal à me penser comme une personne déjà engagée. Je sais que je fais des choses déjà engagées, j’ai un peu de mal à me revendiquer en tant que tel, et surtout je ne me considère pas que ce que je fais est du militantisme. Ou alors pas au même titre que quelqu’un qui est sur le terrain. Il y a un travail monstre à faire sur le terrain, que ceux soient dans les associations, auprès des jeunes, que ce soit pour aider les gens en situation de détresse psychiatrique, psychologique, qui se font jeter dehors. Ce n’est pas un truc abstrait si aussi je prends la parole. Être LGBT c’est aussi objectivement quelque chose de très compliqué, pas 100% du temps, ce n’est pas du misérabilisme, mais, c’est très compliqué, et ce que je dis n’engage rien sur le travail d’autres personnes sur internet, je trouve ça super, mais c’est vrai que moi pour avoir un peu connu les deux trucs, je me sens un peu dans un truc différent sur internet.
Pourquoi j’ai voulu m’engager ? Parce que je pense aujourd’hui à ceux qui sont comme moi j’ai pu être. Le fait de ne pas savoir qui je suis, de me chercher, d’avoir de la dysphorie, de ne pas me sentir à ma place, etc. Disons que j’ai un peu l’idée que, peut-être en m’exposant un peu, peut-être que je peux épargner une partie de ce que j’ai traversé aux gens qui aujourd’hui sont à la place que j’occupais avant. Et c’est vrai que quand je reçois des messages de personnes trans qui ont 13-14 ans et qui me disent « Grâce à différents contenus en ligne, j’ai pu m’accepter », je me dis que c’est génial, quand j’étais à cet âge-là j’étais à mille lieues de me dire ça.
Mon but c’est toujours que ça ne nuise pas à la lutte de la communauté. Au pire ça ne sert à rien, au mieux ça apporte quelque chose, et s’il y a une personne qui se sent aidée c’est super, que ce soit une personne concernée ou une personne qui cherchait juste de l’info et qui va la trouver, et qui va peut-être ressortir avec une attitude plus positive vis-à-vis des LGBT. Moi ma cible ce sont les gens d’un peu toutes les générations, et sur YouTube il y a une population extrêmement diverse comparée par exemple aux réseaux sociaux, qui pour moi ont une audience un peu plus « type », un peu plus restreint. Et ça, je le vois dans mes commentaires, j’ai autant des parents qui cherchent des informations, mais autant des gens qui me disent qu’ils se posent des questions sur eux-mêmes, c’est vaste ce canal-là. Ça me paraît très bien pour toutes ces raisons-là. Et puis, il y a aussi l’idée qu’il y a du travail qui doit être fait, il faut répandre l’info et surtout la vulgariser parce que, quand j’intervenais dans les écoles, ça n’a pas duré très longtemps, j’ai constaté déjà à quel point l’homosexualité, ou déjà les différences garçon fille, le sexisme, etc. Ce ne sont pas du tout des choses acquises, ça m’avait beaucoup étonné vu l’époque où on est maintenant. Et en fait non, c’est un travail qui a besoin d’être fait, il y a beaucoup de ressources qui existent, mais en français c’est compliqué. En plus, je pense que malheureusement, malgré que j’ai à cœur que le contenu que je produis est factuel et sourcé, il y a aussi l’apport de l’expérience personnelle. Il y a des gens qui vont plus être touchés par une anecdote plutôt que par des chiffres. Je pense que c’est important de donner des chiffres et des statistiques parce que c’est la réalité, mais en même temps il faut tirer profit au maximum de l’apport d’une histoire personnelle qui va peut être touché les gens, qui va leur faire pendre conscience de difficultés vraiment hardcore qu’on peut vivre, s’intégrer dans cette multiplicité de récits que permet Internet. Quand j’ai créé ma chaîne, j’avais dans l’idée dès le début que je voulais une multiplicité des publics, je trouvais ça très important parce que je voulais soutenir les gens qui se posent des questions, tirer profit de mon vécu pour peut-être donner des clés à des gens qui seraient dans les mêmes situations que moi. Même si tous les vécus sont différents, si des gens se retrouvent avec les mêmes questionnements que moi et qu’une réponse que j’ai eue peut les aider c’est super. Également tout ces gens qui ont une transphobie très importante, je pense qu’il faut répondre à ces gens-là. Je ne pense pas qu’il faut s’engager dans des débats avec eux, en revanche je pense qu’il faut créer des ressources qui leur sont plus ou moins directement adressées et qui répondent aux questions qu’ils se posent. Il y a aussi les gens que je ne cherche pas à atteindre, il faut aussi que je fasse la prévention, de la sensibilisation, pour les gens qui ne se rendent pas compte de ce que l’on vit. À qui on parle, qu’est ce que les gens pensent, qu’est-ce qu’on veut produire comme effet sur eux, les soutenir, leur faire changer d’avis, les challenger un petit peu, leurs perspectives. C’est ça qui est important, de ne pas s’engager, de ne pas tout le temps être dans le réaction directe, de plutôt créer sa réaction, sa propre voix, plutôt que de réagir au discours d’autres. C’est bien de réagir et c’est important quand il y a des truc qui se passent, mais pas toujours être dans la réaction. Il y a aussi le fait que si on paraît tout le temps dans la défensive, dans mon cas, j’ai l’impression que ça nourrit encore cette « narrative » de « J’ai une dégaine pas possible, les gens disent que je suis un malade, que je suis hystérique, que je suis délusionnel, etc. » Et je ne veux vraiment pas nourrir ce « narrative » là et c’est quelque chose que j’ai tout le temps en tête.
Léane : Bonjour Missandria
M : Moi c’est Missa, je suis militante antiraciste, décolonial et féministe. Je suis plutôt de gauche, dans la mouvance « communiste libertaire » et j’ai 27 ans, je travaille en bibliothèque et je suis syndiqué à la CGT. En fait je ne sais pas si je peux dire que j’ai choisi de m’engager, la vie a fait que j’ai fini par m’engager. J’ai commencé à me politiser au lycée, contre la réforme Darcos à l’époque. Je ne saisissais pas encore bien les tenants et les aboutissants, mais j’étais juste contente d’être avec mes camarades, de me mobiliser avec eux et d’apprendre les premières choses de la vie militante, c’est-à-dire bloquer un lycée et aller en manif. Ensuite j’ai toujours été profondément révoltée par l’injustice, je pense que je tiens ça de ma mère. Naturellement, petit à petit en me politisant et en me renseignant sur la société, c’est en essayant de la comprendre, de comprendre les injustices et les inégalités que j’ai fini par m’engager. Je n’ai jamais vraiment fait un choix « c’est là maintenant que je m’engage pour telle cause ». Ça faisait partie de moi. J’ai un peu évolué dans mon militantisme. J’ai commencé par les blocages et les manifs au lycée. En 2016, lors de la loi travail j’étais à l’université à Grenoble, et j’y ai fait toutes les manifs. Mais je n’étais pas encore militante, mais plutôt engagée contre ça, je commençais à me politiser. J’ai commencé à aller avec deux/ trois camarades en manifs, mais je n’étais pas engagée dans une organisation. C’est quand je suis revenu à Lyon, en année de master que je me suis engagée dans un collectif antiraciste décolonial. C’était ma première expérience dans une organisation collective. Ça ne s’est pas super bien passé, j’ai fait un burn-out, car c’était à toute notre première expérience d’engagement collectif, nous n’étions pas du tout organisés correctement pour répartir le travail, dont j’ai pris une énorme part, ce qui m’a conduit, entre autres, à faire une petite dépression. Ensuite je me suis assez vite réengagée dans l’associatif et là j’ai décidé de me tourner, toujours dans l’antiracisme, mais plus dans une association « diasporique », tournée spécifiquement vers les femmes africaines afrodescendantes. C’était plutôt de l’engagement à ce niveau-là, c’était vraiment super bien, on faisait plus de l’évènementiel culturel et de la sensibilisation pour les femmes afros et les jeunes filles. Depuis que je suis vraiment rentrée dans le monde du travail et que c’est plus seulement mon job, je milite au syndicat, je milite en étant chargée de communication au sein du syndicat, et donc j’aide mes camarades à mener le syndicat de mon lieu de travail. Se syndiquer c’est important, car c’est une façon de protéger, de réfléchir collectivement, et de porter collectivement à l’employeur les revendications plutôt que de se faire ses petites réflexions dans son coin et d’essayer de porter ça tout seul quand, en plus, on est par exemple précaire comme moi qui suit en CDD, ou qu’on a un employeur qui n’est pas à l’écoute, de toute façon c’est toujours un bras de fer quand on veut obtenir certaines choses. C’est toujours mieux de porter ça collectivement. On peut se dire que se syndiquer c’est s’exposer, mais on peut tout à fait être syndiqué en catimini, c’est-à-dire que l’on paye notre cotisation au syndicat et quand on a besoin d’aide ou une question on se tourne vers le syndicat qui est là pour nous appuyer, pour faire remonter des questions, des revendications à l’employeur, sans que toi tu sois forcément exposé, car ta voix est portée par le syndicat, et ça a d’autant plus de poids quand le syndicat est élu aux élections professionnelles et qui est majoritaire dans ta boîte .
Je fais ça pour la collectivité… Enfin pour moi, militer et être engagé, c’est pour le bien collectif. Comme je l’ai dit la justice est vraiment très importante pour moi, on vit dans un monde injuste, capitaliste, avec des riches et de pauvres. Et les pauvres existent parce qu’il y a des riches, et pour « servir » les intérêts des riches, et déjà pour moi c’est profondément injuste. Je milite pour changer ça et qu’on ait plus de justice dans ce monde. Ça, c’est la vision utopique, idéologique de mon engagement. Je milite aussi pour ma petite sœur, qui est une jeune fille trans racisée, je milite pour qu’elle puisse vivre dans un monde meilleur. Globalement je milite pour mes proches et pour moi aussi parce que j’estime qu’on a tous le droit de vivre dans un monde où on peut partager les richesses, partager les tâches, qu’on soit tous égaux, même si ça peut paraitre un peu naïf. Je pense qu’on peut y arriver, on y arrivera que collectivement, c’est pour ça que je m’engage moi pour faire partie du collectif.
Léane : Hello Morgane
Morgane : Je m’appelle Morgane, je suis une personne handi queer, j’ai un handicap physique qui est visible, j’ai 36 ans et je suis artiste. Mon art c’est plutôt des collages, en général je choisis un ou une artiste figuratif, je cherche beaucoup de choses qu’il ou elle a faites sur internet, et avec ses œuvres je me recréais. Je me suis longtemps focalisée sur des artistes femmes ou AFAB, car elles sont sous-représentées elles aussi dans le milieu de l’Art. Et là je vais chercher des œuvres qui me correspondent, et à partir de ces œuvres je choisis des morceaux que j’utilise pour me recréer. Je fais ça sur Photoshop parce que je n’ai pas les moyens d’acheter des bouquins d’art, de les découper et recréer autre chose. Mais du coup c’est vraiment le même principe que les collages physiques. J’utilise un fauteuil roulant pour me déplacer donc je vais utiliser un chapeau pour faire des roues de fauteuils roulants typiquement, puis je vais choisir un personnage qui ne me ressemble pas pour me recréer ou en tout cas recréer une œuvre qui correspond vraiment à ce que fait l’artiste de base. Puis je remets tout ça dans un contexte, ou pas d’ailleurs. Je ne dénature pas leur travaille, je le recréer avec ce qu’ils font. Mon engagement politique a commencé là, en commençant à créer, parce que l’idée c’était de me faire un espace dans un monde où je n’existe pas. Ou alors, quand je vois des personnes handi représentées ce n’était pas du tout limage à laquelle je correspondais et j’avais envie de m’identifier, pour moi ça a été une voie de sortie et un engagement politique que de faire ça. Mon engagement il a commencé vraiment en même temps que mon éveil politique. À l’époque, c’était, et d’ailleurs c’est toujours un peu le cas, un féminisme très blanc, valide évidement et un peu bourgeois on ne va pas se mentir, qui était représenté. Et du coup je n’avais pas ma place là-dedans, c’est un peu comme ça aussi que je me suis rendu compte que je n’avais ma place nulle part, et c’est comme ça que je me suis décidé à me faire ma place. Donc j’ai choisi ce média, l’art, parce j’étais seule, je n’avais quasiment pas de potes dans la vie, je ne savais pas comment faire en fait, je ne me voyais pas avec une pancarte dehors, je ne savais pas quoi faire. Tout à commencer quand un ami m’a envoyé des œuvres d’art de Bernard Buffet qu’ils avaient fait, qui représentait beaucoup de voitures et en me disant « Regarde, Bernard Buffet t’a représenté », donc on me compare une voiture, ce qui n’est pas très drôle, c’est plus mon ami d’ailleurs depuis. En tout cas, je l’ai pris au mot, je me suis dit « ah ouais trop cool, je peux faire quelque chose avec ces voitures en fait ». J’ai donc plongé dans ce truc-là, « peut-être que je n’existe pas, mais je peux me faire exister quand même ». Très vite je me rendu compte que ça me faisait du bien, ça me plaisait, c’était politique quoi.
À la base, c’est clair c’est pour moi, mais aussi, et surtout, plus je grandis dans mon militantisme et dans ma vie personnelle et plus je pense aux autres personnes handi. Pour que les autres handi soient représentés, qu’ils voient que c’est possible d’avoir une place dans la société. En tant que minorité on n’apprend pas à dire « je », on n’apprend pas à prendre de la place, on apprend à fermer notre gueule, à être soumis et dire merci. J’ai une place dans la société, parce que j’en fais partie, et ce n’est pas normal la place à laquelle je suis assignée par cette société et j’en avais marre de dire merci, marre de courber l’échine. Aucun handi, quelque soit son handicap, ne mérite ça. La question du handicap ce n’est pas tant une question de souffrance ou de vulnérabilité, mais une question de justice sociale, de droit humain.
Léane : Bonjour Margaux.
Margaux : Moi c’est Margaux, j’ai 23 ans, je fais partie du collectif « Décolonisons le féminisme ». Je suis militante depuis un peu près 1 an, c’est là où j’ai commencé à me poser des questions sur le sexisme, puis le sur le racisme, puis avec un groupe de collereuses on a formé « Décolonisons le féminisme ». De base, on était des colleuse de féminicide Paris et on s’est rendu compte qu’il y avait aussi des problématiques liées à la race qui nous ramenaient toujours à des discriminations supplémentaires qui ne concernaient pas toutes les collereuses, on avait besoin d’un espace pour se retrouver entre nous, parler de nos problématiques comme les espaces sans cis mec, là c’était pour les personnes racisés perçus comme femmes noires dans l’espace publique et les minorités du genre. Niveau organisation, avec décolonisons le féminisme on peint en avance, un peu comme CFP, on peint en avance nos slogans. On a un Trello où on propose des slogans sur différents thèmes : les problèmes au Congo, l’excision en France. Tous les problèmes qui touchent les femmes et minorités de genre racisés, ça va des féminicides aux problèmes plus racistes et spécifiques. Il y a aussi la lutte contre la fétichisation qui s’inscrit dans nos luttes en tant que femmes racisées. On colle le soir souvent, c’est plus pratique et discret. On colle en non-mixité toujours, mais pas forcément en non-mixité de race. Donc on colle avec des alliées blancs et blanches. Parfois, on a d’autres type d’actions, par exemple on a un groupe de parole tout les dimanche où on aborde aussi des thèmes peu abordés dans les médias ou dans les milieux militants « mainstream », c’est vraiment spécialisé pour les personnes racisés. On discute pour libérer la parole, qu’on n’est pas seul, qu’on est ensemble et qu’on subit tous des discriminations lié à ça. C’est les deux types d’actions qu’on fait.
J’ai commencé à militer quand je me suis rendu compte qu’on n’était pas isolées dans les types d’oppressions qu’on subissait et qu’il y avait une majorité de personnes perçues comme femmes qui subissait les mêmes discriminations, oppressions, violences que moi. Prendre conscience que c’est systémique ça te fait ouvrir les yeux et tu es obligé de passer à l’action, une fois que t’as conscience de ça c’est dur de rester dans un confort, car tu remarques tous les problèmes et tu te dis « il faut que j’agisse par rapport à ça ». C’est ça qui m’a motivé, de comprendre qu’on était tous ensemble dans ce système de domination patriarcal.
Pour qui je lutte ? C’est aussi pour les autres personnes racisés, perçus comme femme dans l’espace public, c’est pour que ces personnes puissent elles aussi se rendre compte qu’elles ne sont pas seules, qu’on est ensemble et qu’elles peuvent trouver du soutient et de la force auprès d’autres personnes concernées. Que vraiment ces oppressions sont injustes et que tout le monde doit le comprendre et lutter contre. J’ai l’impression qu’à travers les collages on a un impact, beaucoup de personnes nous rejoignent, parce qu’ils ont vu des collages dans la rue, ça les a interpellés, mais aussi parce qu’elles se sont reconnues dans les mots qu’on écrit sur les murs. C’est vraiment comme collage féminicides Paris, c’est vraiment, on cible un public qui potentiellement subit les mêmes violences que nous, qui pourrait se retrouver dans notre réseau de lutte, de soutien et d’entraide.
Léane : Hello Marie. Mon amie Marie est donc travailleuses du sexe, je sais que c’est un sujet qui soulève beaucoup de questionnement au sein du milieu et je le comprends. C’est pourquoi, étant donné que nous n’avons pas le temps de développer ce sujet au sein de cet épisode je vous renvoie vers la série documentaire « La politique des putes » co-réalisé par Laurene Bastide et Océan qui traite ce sujet de manière extrêmement détaillée avec toute la complexité et la nuance que le sujet demande. Je vous laisse avec Marie.
Marie : Et bien, bonjour à tous, je m’appelle Marie j’ai 29 ans et je suis une femme cis genre blanche handicapée et exerçant le travail du sexe. Travailleuse du sexe c’est l’ensemble des métiers qui touchent de près ou de loin à la vente de service sexuel, sensuel ou érotique, à la fois les Escorts, les cam-girl, les performeuses pornos, les collègues dans la rue, et moi, qu’on appelle communément escortes, mais moi j’aime bien me définir pute. Mon entrée dans le travail du sexe : j’ai commencé il y a un an et demi, j’ai trouvé que c’était un super moyen pour moi de me réapproprier mon corps, car il n’y avait pas de modèle pour moi, possible et visible de personnes avec un handicap qui était « empowerée » ou émancipée, je me disais que ce n’était pas possible d’avoir une sexualité hors de la norme hétérosexuelle, mais même de la sexualité tout court, donc c’est ce que j’essaie de faire à travers mon travail et mon militantisme. C’est de dire qu’il faut s’accepter tel que l’on est, qu’on est dans la liberté et le respect des choix de chacun et chacune. Je n’aime pas dire que c’est un choix, même si on peut l’interpréter comme ça de manière privilégiée, parce que quand on nous dit que c’est un choix on nous met la question du consentement. Consentir ne veut pas forcément dire être très heureuse de faire tous les jours ce travail, comme tout à chacun qui travaille aujourd’hui.
Comment je m’engage ? Je m’engage sur le terrains via des associations dont une qu’il me semble très important de parler, c’est le « syndicat du travail sexuel » (STRASS) qui est une association qui milite depuis 10 ans pour visibiliser, faire du lobbying politique, pour œuvrer pour la dépénalisation du travail du sexe qui est aujourd’hui pénalisé du fait de la loi de 2016 qui fait que les travailleuses du sexe existent mais c’est le client qui est pénalisé, donc ça créé un mécanisme de domination et ça m’est en danger les travailleuses du sexe, et aussi dans des périodes comme le confinement où les travilleureuses du sexe les plus précaires, notamment mes collègues trans racisées se retrouvent littéralement à la rue et sans ressource. J’essai de militer à la fois dans la rue et au sein d’une association, mais surtout et avant tout sur Instagram. J’essaie via des choses que j’ai subis, que je remarque, d’alerter via des textes, des photos ou des posts sur la putophobie et les différentes violences auxquelles on fait face en tant que travilleureuse du sexe. Militer par ce biais là c’est à la fois très beau, car il y a une espèce de d’aldephité, moi j’appelle ça la putarité, et une espèce de soutient inconditionnel entre nous avec le développement de divers comptes que je vous encourage toustes à suivre, qui fait du bien et qui permet de faire entendre nos voix, parce que mine de rien les réseaux sociaux ça a un impact, mais aussi dans la rue, en manifestant. L’autre endroit où j’ai aussi beaucoup milité c’est via les collages. Quand j’ai découvert le mode d’action des collages via une association parisienne je me suis dit que ça me paraissait important que les putes soient entendues et que nos revendications de travailleureuses du sexe soient entendues aussi parce que, malheureusement au sein du militantisme il y a peu d’inclusion des travailleurs du sexe. Donc j’ai participé à la fondation d’un groupe de collage pute qui s’appelle « La rue est aux putes » que j’ai depuis quitté mais auquel j’ai beaucoup d’affection, j’ai été très heureuse de faire ça, ça m’a apporté beaucoup de force et ça a aussi permis de sensibiliser d’une autre manière les gens dans la rue et ça m’a apporté beaucoup de fierté.
Pourquoi je me suis engagée ? Quand tu es pute, tu ne t’en rends pas compte en fait, tant que t’es pas rentré dedans. La putophobie, ce mécanisme dont je parlais toute à l’heure, où en fait on te crache à la gueule juste parce que tu es pute, mais aussi quand tu vois tout le stigma que tu subis, tu peux pas avoir accès à un emprunt, que la définition du proxénétisme, qui est le fait d’assister ou d’aider à l’activité prostitutionnelle, qui est interprété très largement par les tribunaux. Donc par exemple si je te paye un café, ou que j’offre un canapé gratuitement à quelqu’un, ce quelqu’un devient mon proxénète ! C’est aberrant ! Si par exemple tu te fais agressé sexuellement ou violé dans le cadre de ton travail, mais que tu es locataire, du fait des lois qui nous gouvernent aujourd’hui, qui nous font du mal et qui sont violentes, si une collègue qui loue un appartement veux porter plainte dans le cadre de son travail il y a de forts risques qu’elle soit mise à la porte, car, en vertu des lois sur le proxénétisme son proprio peut se retourner contre elle pour proxénétisme. Ça m’a révolté, et je me suis dit que ce n’était pas possible. Il fallait que l’ensemble des personnes et de la société soit au courant de ça parce que pour moi c’est intolérable en tant que féministe, que je subisse des discriminations en raison de mon travail. Parce qu’on travaille pour survivre, pour gagner de l’argent qui permet de vivre à tout à chacun et chacune de se sentir bien ? Chaque année il y 10 travailleureuses du sexe qui décèdent, et moi en 1 an et demi j’ai perdue 2 de mes amies, qui se sont suicidées du fait de la putophobie, ce mécanisme social oppressif, qui consiste du fait que j’exerce ce travail et que je représente cette espèce de stigmate de la pute je n’existe pas et je dérange les gens, et du coup ça amène à ce que cette violence, tu en puisse plus et donc quand on te ferme toutes les portes en raison de ton travail, t’en viens à lâcher l’affaire et parfois à en mettre fin à tes jours comme mes deux collègues.
J’ai d’abord choisi de m’engager pour les putes, de manière générale pour les personnes handicapées aussi parce que je trouve qu’il n’y a pas assez de modèles de personnes handicapées qui portent des paroles, et notamment qui parle de relation à leur corps et à la sexualité. J’ai aussi eu envie de m’engager quand j’ai vu toute la violence que la putophobie et le slut shaming produisent dans nos communautés et nos sociétés. Suite aux décès de mes deux amies et collègues cette année, pour moi c’était inenvisageable, ce n’était pas possible en fait. Quand je vois toutes mes collègues sans papières qui galèrent, qui sont foutues dehors en raison qu’elles exercent le travail du sexe et de leur situation irrégulière, pour moi c’est intolérable et je pense que de manière générale je m’engage pour une société plus putophobe et vraiment inclusive dans le sens utopiste.
Sharone: Moi si je devais donner des conseils à des personnes qui voudraient s’engager je pense que la 1er chose qui me parait fondamentale c’est d’abord de se situer, quand on veut créer un collectif, qu’on veut s’engage dans un collectif. Il me paraît fondamental de savoir qui on est et où ce qu’on en est. Quel rapport on a avec soi, c’est-à-dire que si on pas conscience de la place que l’on a dans l’espace social, si on n’est pas ne phase avec son histoire familiale, culturelle, etc. C’est d’abord se situer, savoir où on en est, et aussi être conscient de ce que l’on subit dans la société, c’est prendre conscience aussi, mais ça c’est un travail de longue haleine, de ses privilèges. Où est-ce qu’on est privilégié et où est-ce qu’on ne l’est pas. Et pour moi ce qu’il me semble essentiel pour s’engager quoiqu’il arrive c’est aussi de faire un travail sur sa santé mentale et peut être être aussi soutenu, parce quand on s’engage dans des collectifs ou qu’on veut en créer, il y a le sujet politique que l’on est, mais pas que. On est aussi une personne, militer c’est une facette de notre personnalité, on est aussi pleins d’autres choses à côtés. C’est aussi se préparer au fait que le collectif va bousculer, des fois mettre en difficulté, à l’épreuve, et c’est bien d’avoir des lieux, des personnes référentes, voire même des professionnelles pour parler, car créer un collectif sur la base de convictions politiques ça a aussi des conséquences sur la personnes que l’on est et c’est important d’avoir un réseau de gens sur lequel on peut s’appuyer dans les moments douloureux, car militer c’est aussi être mis à l’épreuve parfois et ça peut être douloureux, c’est des espaces qui ne font pas toujours de cadeaux, mais dans le même temps on apprend beaucoup, il y a des liens qui sont créés, de la puissance qui se transmet, il y a pleins de choses qui émergent de ce milieu-là. Il faut faire la part des choses et des fois se déconnecter, s’aérer un peu. Mettre à distance parfois aussi des choses, on ne joue pas sa vie dans ces espaces, on croit des choses ensemble, mais on ne joue pas toute sa vie. L’autre chose aussi c’est de se dire, et ça, ça me paraît très important, plus de concret. Aujourd’hui le militantisme qui se fait sur les réseaux sociaux, c’est très bien, très intéressant, et en même temps je suis aussi pour un militantisme qui soit social, donc c’est bien aussi d’allier réseaux et action sociale sur le terrain, ça me paraît aussi important.
Tay : De se renforcer, car le militantisme c’est dur, et d’apprendre à faire des pauses parce qu’on ne peut pas militer tout le temps, même si les réseaux ont un peu tendance a donné envie de faire ça. Il faut apprendre à se préserver si on veut bien militer. Il faut qu’on soit en forme nous-mêmes.
Brieuc : Si je peux terminer sur une note un petit humoristique, d’un côté il faut que les gens s’expriment, qu’il y soit des voix diverses sur internet et j’encourage des personnes qui seraient aussi des personnes trans, qui seraient aussi en situation différente de la mienne, de s’exprimer et de donner leur avis sur ces questions. Sur une note un peu plus humoristique si vous êtes issus de minorités et que vous voulez créer du contenu sur internet il n’est pas trop tard pour fuir et avoir un travail avec un salaire et de la reconnaissance (rires). C’est difficile, ce que vous voyez sur internet ce sont de vraies personnes, on l’oubli ça.
Missandria : Du coup ce que j’aurais à conseiller pour les personnes qui hésite à s’engager, il faut avoir peur de passer le pas, il y a beaucoup en ce moment des choses qui tournent sur les réseaux sociaux qui mettent en compétition l’engagement en ligne et l’engagent du terrain et qui font une critique du terrain un peu malhonnête parfois, qui noircissent le tableau. Effectivement le monde est violent, parfois militer sur le terrain ça peut être violent, mais pas nécessairement violent, où on n’est pas obligé d’aller en manif, aller à la confrontation et de se prendre des gaz lacrymos dans la tronche pour être militants. On peut être militants de plein de façons différents, donc pour moi la première chose à faire avant de s’engager c’est de définir quelles sont mes capacités physiques et mentales ? Combien de temps et combien d’énergie je peux mettre là-dedans ? Si c’est une fois par semaine, si ce sont plusieurs fois par semaine ou si c’est vraiment sporadique. Ensuite vers quelle structure je me tourne. Pour moi pour bien militer il faut qu’on s’engage dans quelque chose qui a du sens pour nous, mais aussi quelque chose qui nous touche. Quand on est concerné par la cause qu’on défend, on est plus impliqué. Pour moi c’est les deux premières choses qu’il faut faire quand on veut s’engager. Aussi c’est la question stratégique, où je m’engage ? Je m’engage dans ce petit collectif inconnu ou est-ce que je m’engage dans un gros parti ? On peut se poser la question aussi : est-ce que je m’engage localement ou est-ce que je m’engage dans un truc national ? Dernière chose : Il ne faut pas avoir peur de ne pas avoir de compétences, quand on s’engage dans une association on peut se former à une compétence, il y a des choses aussi qui ne demandent pas de compétences particulières. En revanche si on a des compétences à valoriser c’est encore mieux. Pour moi ce qu’il faut éviter c’est de rester trop la tête dans le guidon, d’être à fond dans le mélanisme sans se garder d’autres espaces : familiaux, amicaux, de divertissement parce qu’on peut vite rentrer dans une forme de sectarisme, de sectarisme politique. Mais aussi, on est coupé des autres et ce n’est pas bons d’être coupé de la société étant donné qu’en tant que militant on travaille pour la société, même des gens qui ne pensent pas comme nous, d’autant plus dans le cercle familial et amical, je pense qu’il ne faut surtout pas se couper d’un cercle familial et amical autre que militant, parce que, quand on n’a pas une famille abusive bien sûr, c’est important garder des espaces pour souffler un petit peu.
Morgane : Arrêtez de propager des préjugés, des idées validistes, arrêtez de penser que votre vie est mieux que la nôtre parce que vous êtes valides, arrêtez de hiérarchiser tout simplement. C’est le terreau central de n’importe quelles discrimination et oppression, c’est ça tout simplement ! C’est qu’on nous hiérarchise, il faut arrêter ça. Ecoutez nous, suivez notre voix, suivez-nous sur les réseaux sociaux, partagez-nous, donnez de la thune de façon générale parce qu’on est très précaire, les handi on crève littéralement, je ne connais pas un handi qui ne soit pas précaire, pas un seul. Contredisez les conneries que vous entendez autour de vous, et soyez présents. En fait, on ne survivra pas si vous ne faites pas appel à un peu de bienveillance et de cœur envers toute la communauté, et ça, c’est la base d’être un bon allié, c’est ça, du cœur et de la bienveillance. Contrairement à ce qu’on croit, surtout avec les réseaux, ce n’est pas une compet’, on peut avoir 50 handicapés, avoir tout un point de vue différent et se soutenir au lieu de se tirer dans les pattes. Ce n’est pas grave si ça ne marche pas, enfin, ça veut dire quoi marcher, tu vois ? On s’en fout, le plus important c’est que déjà ça te fasse du bien pour toi, pense à toi en premier et après si tu arrives à toucher des gens et à parler à d’autres gens, tant mieux.
Margaux : Du coup comme conseil pour les personnes racisées : attention, parce que les milieux militants reflètent un peu la société et que ce soit dans l’écologie, le féminisme ou, qu’importe le milieu militant, il y a toujours une majorité de personnes blanches et qui ne sont pas forcément éduquées au racisme, on peut donc toujours subir, je pense c’est pareil pour les personnes non valides, il y a toujours du valdisme dans les milieux militants, il y a toujours de la transphobie, il y a toujours une minorité qui n’est pas respectée et c’est pareil avec les personnes racisées. Du coup, bien choisir son collectif, bien se renseigner sur ce qu’il s’est passé avant pour ne pas rentrer dans un milieu qu’on croit safe et qui ne l’ai pas.
Des milieux en non-mixité pour les personnes racisées, je pense à notre collectif, il y a des endroits qui se créer pour les personnes racisées, pour qu’elles se sentent vraiment safe. Pareil pour les minorités de genre, il y a des milieux qui ne sont pas encore assez safe, il faut laisser ces milieux s’éduquer, il y a du contenu et tout, mais il faut aussi se protéger, on n’est pas forcément là pour éduquer les autres au racisme, à la discrimination qu’on subit. Sinon créer ses propres plateformes, ses propres réseaux s’il n’y a pas encore de réseaux dans le domaine dans lequel ou pour lequel on veut lutter.
Pour les alliés ce que je conseillerais en 1er c’est l’éducation et l’ « entre éducations », corrige tes potes comme pour le sexisme, quand tu es un mec cis tu t’éduques là-dessus. Il y a tellement de compte de podcast, de livres, il y a tous les supports possibles pour s’éduquer là-dessus. Donc l’éducation c’est primordial, l’information, lire, écouter, apprendre et respecter la parole des concernées, parce qu’on a beaucoup de vécu en commun, mais on a aussi beaucoup de disparités et on ne va peut-être pas ressentir la même chose sur une même violence, mais toujours prioriser la parole des personnes concernées, être à l’écoute.
Marie : Je pense que la première chose à faire quand vous voulez être dans les associations inclusives des travailleureuses du sexe, c’est de regarder si elles sont en contact sur le terrain avec les concernées, et attentions à l’amalgame abolitionniste qui est toujours fait avec cette histoire de traite d’êtres humains, si c’était le cas je pense que je serais abolitionniste. Essayez de voir le respect de l’inclusivité, des personnes trans et non binaires au sein des mouvements. Et après toutes les associations communautaires en lien avec le V.I.H. souvent, sont en lien avec la lutte des travailleureuses du sexe. Au niveau de la lutte des droits pour les personnes handicapées je pense qu’il est aussi important de parler d’une association féministe : « Les dévalideuses » qui lutte contre les stéréotypes de genre et le handicap. En règle générale je dirais que le plus important c’est d’écouter les concernées, donc si vous avez accès à Instagram, essayer de suivre leur compte.
Léane : Sans plus attendre, voilà mes conseils personnels :
Prends le temps de trouver un mode d’action qui te plaît, mais n’attend pas de trouver l’association parfaite pour te lancer, car elle n’existe pas. Dans les limites de ce qui est acceptables et safe pour toi, n’oublie pas que tu peux aussi rentrer dedans et changer les choses de l’intérieur.
Ne culpabilise jamais de ne pas tout savoir, on ne naît pas savant, et puis ce n’est pas grave, on n’a pas besoin de tout savoir, de tout comprendre pour respecter, pour aider, pour accompagner, on apprend en faisant. Beaucoup.
Pense à déléguer, pense à prendre des pauses, à garder un entourage qui n’est pas militant, c’est très important pour garder les pieds sur Terre.
Comprends que la cohérence parfaite n’existe pas. Accepte d’être une personne imparfaite, accepte que les autres ne le soient pas également et que c’est ce qui rend humain nos luttes. Pour autant le militantisme, quand celui-ci particulièrement est intersectionnel, est également une lutte contre soi-même. On doit lutter contre nos propres stéréotypes, contre nos propres préjugées. Pour cela, mettre son égo de côté et écouter les personnes concernées par les autres discriminations est primordial.
N’idéalise personne. Tu es à la hauteur, peu importe le nombre de followers, sur Instagram, peu importe le nombre d’actions que tu as fait, le nombre de livres féministes que tu as lu, les études que tu as faites, etc. Ce n’est pas ça qui qualifie ta valeur. Si tu n’as pas envie de débattre, de faire de la pédagogie ou de te justifie sur pourquoi tu es féministe, ne le fait pas. Te ménager, prendre soin de toi c’est hyper important pour que tu puisses continuer à avancer sur le long terme.
Donc ce sera le mot de la fin, prends soin de toi, toujours.