Mécréantes

Il fallait partir

Léane Alestra Season 1 Episode 2

Féminicides, violences conjugales, femmes battues,...
Qui n'a pas vu les collages sur les murs de nos villes en 2019 ?
Mais quel rapport avec le sexisme ? Avec notre système patriarcal ?
Qui sont les agresseurs ?
Aujourd'hui décortiquons ensemble ce sujet de société qui concerne 220 000 femmes chaque année.

Pourquoi la violence est une caractéristique d'avantage masculine ? Découvrez là réponse tout au long du podcast.
Bonne écoute

BIBLIOGRAPHIE :
Mona Chollet, Machisme sans frontière (de classes), Le monde diplomatique
Michael Kaufman, LES SEPT « P » DE LA VIOLENCE MASCULINE
Marie-France Hirigoyen, De la peur à la soumission

Recommandations podcast :
Des hommes violents, les pieds sur terre

Remerciements : @withoutpatriarchy, @olympereve et Charlotte Thullier.

Il fallait partir :

Léane : Bon, j’ai longtemps hésité entre faire intervenir une grande psychologue sur le sujet, ou faire appel à un témoignage. Puis j’ai rencontré Anna, dont la lucidité et la hauteur m’ont bluffé.e. Dans cette première partie consacrée aux violences conjugales, nous laissons les concerné.e.s raconter. Aujourd’hui Anna vient non seulement vous conter son histoire, mais vous expliquer précisément les mécanismes de la violence conjugale et ce qui est très important, c’est de savoir pourquoi statistiquement les hommes sont plus violents. Qu’est-ce qui se joue socialement derrière les chiffres ? Comment repérer ce qui ne va pas, quand les victimes elles-mêmes essayent de cacher la triste réalité derrière la porte de leur maison ? Qui sont les bourreaux ? Comment notre monde participe à la création de ces violences ? Je vous promets qu’à la sortie de cet épisode vous n’allez pas être déprimé.e.s par un ultime témoignage sur la violence conjugale. Au contraire, vous vous sentirez éclairé.e.s, et sensibilisé.e.s pour avoir le pouvoir de changer les choses. Nous avons essayé de rendre cet épisode le plus doux possible à écouter, mais pensez à être dans de bonnes conditions avant de le lancer car il peut potentiellement vous rappeler des expériences douloureuses.

[Intro :Never ever accept « because you are a woman » as a reason for doing or not doing anything.C’est qui cette nana ? Toi de toute façon tu n’es qu’une femme ; tais-toi, tu ne sais pas. Récemment j’ai posté une vidéo de moi par exemple, sur Youtube, de moi sur scène, et dessous il y a un monsieur que je connaissais pas qui a commenté « nulle à chier mais je la baise sans soucis ». On vit vraiment une époque magnifique. Diable non mécréant !]

Léane : Hello Anna ! Alors je précise que ce n’est pas ton vrai prénom, on est obligée de garantir ton anonymat, pour des raisons, ma foi plutôt évidentes. Je tiens à souligner par ailleurs que l’enregistrement de l’invitée est un poil moins bon que le mien, car nous sommes en situation de confinement. Normalement c’est la dernière fois que ça arrive alors on croise les doigts. Alors déjà je vous vois venir : « oui mais Léane, cette fille elle est juste tombée sur un connard et puis, moi, dans mon milieu, les hommes ils sont pas comme ça, ils sont éduqués, ça c’est juste une histoire individuelle. ». Alors stop ! Comme le décrit Mona Chollet : « La violence touche les femmes des beaux quartiers, tout autant que celles des banlieues. Refuser d’examiner les causes contribue à perpétuer ce phénomène. » D’ailleurs vous noterez que l’homme décrit dans ce témoignage est un français « pur souche » comme on dit hein, ingénieur, très bien intégré socialement, monsieur tout le monde quoi, qui a bien réussi aux yeux de la société et cette histoire, c’est l’histoire de 220 000 femmes par an. Et surtout elle est le résultat de NOS injonctions et de NOS stéréotypes de genre que l’on entretient tous. Bref Anna, est-ce que tu peux commencer par nous décrire les débuts de ta relation ?

Anna : Bah voilà au début de la relation, elle était vraiment parfaite et puis à partir des deux premiers mois, ou du deuxième mois on va dire, les engueulades ont commencé. Et en fait je pense que cette personne elle avait ciblé, chez moi, mes faiblesses et en tous cas mes blessures. Et moi clairement, j’avais vraiment un problème avec l’abandon, d’ailleurs j’avais vraiment un problème de dépendance affective à ce moment-là. Et du coup, vraiment il l’avait ciblé. Donc en fait à chaque engueulade, les premières violences finalement qui ont commencé, c’était de m’envoyer chier et de partir, plus donner de nouvelles. Pour moi, ça, ça a été les premières formes de violence qui ont commencées. Le fait de me laisser sans nouvelle, le fait d’utiliser le mutisme et cette forme « d’abandon » pour me punir quand j’étais pas d’accord avec lui. L’emprise a vraiment commencé comme ça et comme j’étais dans des situations de panique à ce moment-là, j’étais paniquée, je l’appelais 50 fois. Pour moi c’était insupportable de ne pas avoir de nouvelles, et en fait, pour moi l’emprise elle a commencé vraiment par ce mécanisme-là. Et ce qu’il faut savoir c’est que quand il y a quelqu’un qui vous envoie chier et qui ne vous donne plus de nouvelle, et que vous, vous êtes, alors sans aucune culpabilité encore une fois mais, dans une situation de panique et vous avez des comportements à lui courir après, et finalement qui s’apparentent à du non-respect pour vous-même, parce que en fait, bah le mec il vous laisse de côté. Enfin, c’est pas normal en fait, et du coup t’as le droit toi aussi d’être en colère en fait. Ça, c’est vraiment, finalement, la première faille dans laquelle il va s’engouffrer. C’est-à-dire que la première fois il a testé, il a vu que oui c’était difficile pour moi, que c’était la panique totale, et du coup c’était un mécanisme qui se reproduisait à chaque engueulade. Donc ça c’était vraiment comme je dis, la première faille dans laquelle il s’est engouffré, et dans laquelle encore une fois, moi j’avais une responsabilité. C’est-à-dire que c’est moi qui le rappelais, c’est moi qui « lui courais après », c’est moi qui étais dans cette situation de panique. Alors je ne me blâme pas, et je ne blâme pas du tout les femmes qui sont là-dedans, parce que en fait, pour arriver à ne plus le faire, pour une dépendante affective, il faut avoir fait un certain travail sur soi, il faut avoir repris le travail de cette confiance et de cette estime qu’on doit avoir en nous-même. Demander à une dépendante affective de lâcher à ce moment-là et de se dire « bah voilà il a pété un câble c’est sa réaction, ça lui appartient, en tout cas moi je n’accepte pas qu’on me traite comme ça. », mais, c’est pas possible pour le moment. Et du coup, bah ça il l’a vite remarqué, et puis après y a des choses qui sont venues se greffer lors des engueulades. Donc, au moment des réconciliations au début, c’était « bon bah t’as vu les réactions que t’as etc », mais il disait pas ça dans le sens, d’une manière bienveillante, en me disant « faut qu’on essaye de travailler ensemble là-dessus, en tout cas moi je peux te soutenir etc ». Non c’était pas du tout là-dedans. C’était dans le but de me faire culpabiliser et de me faire croire et passer, que ce soit dans son imaginaire à lui ou dans mon imaginaire à moi, pour une folle, clairement. Et en fait ça a marché et très vite. Très vite parce que voilà, de nature je suis quelqu’un qui se remet beaucoup en question, et ce qui se passe aussi dans la dépendance affective, c’est qu’on a tendance à vouloir plaire à tout le monde. Dans mon esprit, j’étais une folle, j’avais des réactions complètement disproportionnées et je les voyais pas avec bienveillance en fait. Je me disais pas « ok j’ai vraiment quelque chose à travailler parce qu’il faut que j’aille bosser sur mes blessures », non je me disais « t’es une grosse tarée », enfin j’étais vraiment pas indulgente et j’étais méchante avec moi. Bah finalement comme lui pouvait être méchant avec moi. Et du coup ça vient encore détruire l’estime de moi-même qui était déjà pas très très haute. Donc, voilà. Et puis après bah les réconciliations elles étaient parfaites en fait. À partir de ce moment-là, il était super sympa, on repartait dans notre modèle classique de perfection de relation, en sachant que on faisait toujours pleins de choses et que de l’extérieur, on paraissait pour un couple absolument parfait. 

Léane : Alors, ces comportements et cette volonté d’afficher un couple parfait, bah on la retrouve chez les hommes mais aussi chez les femmes. Mais c’est quand même des schémas sociaux, c’est-à-dire qu’aujourd’hui le couple est extrêmement valorisé, on va essayer de paraître, pour un couple « parfait » pour être valorisé au sein de la société. Mais c’est un comportement qu’on retrouve un peu plus chez les hommes, tout simplement parce que c’est lié à la construction masculine et aux injonctions à un modèle de virilité. En gros, si ta femme elle ne « reste pas assez » à sa place, selon toi, (je mets des gros guillemets hein), elle met en péril, l’estime que t’as de toi-même et elle remet en question ta virilité aux yeux de tout le monde. Et ça correspond à ce que tu me disais sur le fait que lui, il détestait que tu le contredises en public, et que le regard des autres était extrêmement important et qu’il ne vivait qu’à travers ça. Donc en fait, tu es à la fois son objet, sa propriété et en fait quelque chose qui le valorise, lui, en tant qu’homme, en tant que position sociale d’homme un peu viril etc. Et si tu le remets en question publiquement, si tu n’affiches pas l’image « parfaite » qu’il voudrait de toi, tu remets en question toute l’estime et toute l’image qu’il essaye de construire aux yeux des autres, et là son mythe de la virilité risque de s’effondrer et donc tu es toujours, à la fois un élément qui le fait se sentir valorisé, et à la fois une menace perpétuelle quoi. 
Et là je change de sujet mais y a autre chose dont tu m’as parlé, c’est qu’il y a toujours un espèce de doute, une culture du doute autour de la parole des femmes en général. C’est-à-dire que soit on va leur reprocher d’être trop soumises de pas avoir assez parlé, de pas avoir dit les choses, de pas être parties, on va les culpabiliser par rapport à ça, leur dire « oui mais t’aurais du voir, oui mais t’aurais du te rendre compte, oui mais y avait ci, y avait ça et t’es pas partie ». Et si on a affaire à une victime de violences conjugales qui au contraire, répond, on va avoir le préjugé inverse de « ah mais en fait, elle était quand même un peu pénible, c’est vrai qu’elle doit pas être facile à vivre, faut pas s’étonner aussi qu’il s’énerve parfois et qu’il pète un plomb » vu qu’on a un peu tous cette image collective que la femme est quand même un peu chiante et que voilà elle fait des histoires etc etc. Donc en fait, c’est les deux faces d’une même pièce et quoi que tu fasses, t’auras toujours tort en fait et c’est ça tout le problème et tout le poids des stéréotypes, qui font que les victimes ont du mal à être écouté.e.s, on du mal à être entendu.e.s, et on a besoin de soutien en tant que victime pour pouvoir potentiellement partir. Et là c’est, c’est là où la société et les stéréotypes de genre interviennent et mettent en fait, en danger les femmes victimes de violence conjugale puisqu’elles ne sont pas crues et elles ne sont pas entendues. Et là on me dira « oui mais y a les hommes aussi qui ne sont pas crus et qui ne sont pas entendus », mais pour les hommes c’est pareil on va leur dire « non mais attends, enfin quand même, t’es plus fort qu’elle physiquement, pourquoi tu t’es laissé faire ? Mais tu n’étais pas viril, mais tu n’étais agressif comme les hommes virils dans cette société sont censés être ». Et en fait, c’est toujours pareil, c’est des stéréotypes de genres qui enferment et justifient quoi qu’il arrive la violence. 

Anna : On attend des trucs de toi qui sont totalement contradictoires, et t’es jamais à la bonne place. Alors ça c’est effectivement le cas en tant que femme, mais alors en tant que femme victime de violences, comme t’es déjà fragilisée, c’est compliqué en fait de s’en sortir à cause de ça. Parce qu’il y a vraiment une pression à ce niveau-là. Donc en fait, il a commencé à me crier dessus, donc bah moi je me laissais pas faire et je montais le ton aussi et je criais aussi. Donc c’était vraiment des engueulades qui étaient assez violentes, du coup dès qu’il y avait un truc qui lui plaisait pas, j’étais « une folle », j’étais « une hystérique », après c’est allé très loin j’étais « une pute », vraiment vraiment de plus en plus loin. Et puis au début ça a commencé sur des insultes sur ma propre personne, et puis en fait quand il a vu que ça ne prenait plus à un moment donné, parce qu’en fait y a un moment donné où on s’imperméabilise un petit peu des ces insultes là et de la violence même de façon générale, c’est-à-dire que pour nous protéger, à un moment donné, ça nous glisse dessus. Dans les engueulades ça a été vraiment les insultes, et les cris. Bah pareil hein, on revient à cette fameuse lune de miel où tout va bien, où ça se passe super bien etc. Et puis en fait après, pour moi, les phases qui ont été les plus violentes, ça a été quand ça a commencé à être dans le quotidien, en dehors des engueulades en fait. Et là, pour moi c’était le pire. Il y avait des espèces de petites réflexions au quotidien, au début on les capte pas, qui sont hyper insidieuses, hyper vicieuses sur « oh bah t’as encore fait ça à manger, oh bah j’aime pas ça », bah t’as qu’à faire à manger quoi. Et plus, d’ailleurs, c’est exactement comment je me positionnais, et du coup comme je me « rebellais » et bah il aimait pas et du coup c’était source d’engueulades, ça venait après les engueulades. Mais sur le moment, c’était vraiment des petites réflexions ou alors, quand on était en public, je le retrouvais pas du tout dans le modèle du grand séducteur etc, mais y a eu des fois où moi j’ai été un petit peu piquée et puis de toute façon quand on est dépendante affective on est possessive, on est jalouse parce qu’on a pas du tout confiance en nous. Sauf que moi cette jalousie là je la contrôlais du maximum que je pouvais, mais en tout cas y a eu aussi plein de fois, et la majorité des fois, je lui parlais en toute bienveillance, en lui disant « là, j’ai peur moi en fait, là je me sens pas en sécurité ». Et en fait, je me suis rendue compte que quelques soient mes besoins, il pétait un câble. Et j’ai jamais compris pourquoi et aujourd’hui, je pense que je comprends pas, et en fait je m’en fiche un peu de comprendre [rire]. La seule option que je vois, c’est de me dire : bah en fait je pense que quand je lui faisais ces « remarques là », ils les prenaient comme des accusations, au lieu de le prendre comme moi qui lui parlait de mes besoins. En tout cas je me dis que pour déclencher une réaction aussi violente de sa part à chaque fois, c’est-à-dire que c’était pétage de câbles quoi, il criait, il me criait dessus en me disant que j’étais une folle, que j’étais une jalouse et que j’allais jamais le laisser tranquille et blablabla. Donc ça venait de plus en plus, bah voilà dans les temps en public, qu’il pétait un câble, et en fait moi, bah j’avais besoin d’apaiser, parce que je voulais apaiser le scandale, parce que je voulais pas que les gens voient. J’étais vraiment prisonnière du regard des autres, je voulais pas que les gens voient qu’on était en train de s’engueuler, c’était honteux pour moi, c’était humiliant et en plus, il me parlait mal, donc j’avais pas non plus envie d’être traînée dans la boue en public à ce niveau-là. Et en fait, c’est-à-dire que tout le quotidien était prétexte à me faire une réflexion humiliante, à ne pas être content, à me faire une scène, à m’envoyer chier parce que je parlais de mes besoins, et là, vraiment, c’est la phase qui a duré la plus longtemps. C’est-à-dire que y avait cette phase de « je me casse et je t’envoie chier », après y a eu ces humiliations et cette violence verbale dans les scènes du quotidien qui sont pas quand, on est avec des ami.e.s, quand on est en soirée. Et en fait, là, on se rend compte que la violence conjugale vient nous pourrir petit à petit TOUS les moments qu’on passe, absolument tous les moments qu’on passe. Je sais pas on était chez des ami.e.s, bah il me parlait dans l’oreille, ou il m’envoyait un texto pour me dire que j’étais une folle. C’était toujours par derrière en fait, c’est-à-dire que même pendant les temps collectifs, que ce soit familiaux ou amicaux, il y avait ce genre de réflexions qui étaient faites en caché, qui étaient faites de façon très insidieuse, de façon très vicieuse. Et en fait, ça me gâchait totalement le moment, puisque j’étais la seule à vivre ça. Et en fait dans ces moments collectifs, on était isolés dans cette violence là aussi, enfin, j’étais isolée dans la violence qu’il me faisait subir et on était isolés dans ces petites engueulades. En fait c’est hyper déstabilisant de se dire qu’on est victime de violence isolée mais en étant entourée de monde, et en préservant l’image qu’on a de notre couple, et lui en préservant l’image que les gens ont de lui.

Léane : Ce que tu décris c’est aussi une des particularités de la violence masculine. C’est-à-dire que des hommes, qui vont énormément se soucier de « on dit que », « on pense que », vont entretenir une insécurité personnelle, dû à ce qu’ils considèrent comme une incapacité à réussir un espèce de test de la virilité, et du coup ils vont projeter cette crainte de l’échec sur ce qui les entoure et du coup, là en l’occurrence, toi. Et ça suffit à projeter chez des hommes qui, du coup, ont un manque de confiance en eux, une spirale de la crainte de l’isolement, de la colère, de l’autopunition, de la haine de soi. Et comme je le disais, chez les hommes on a plus de mal à exprimer ses émotions, parce qu’on a pas été dans cette culture de parler, de dire les choses etc, la dernière solution qu’il leur reste à ce moment-là, pour leur vision, c’est la colère. Et la colère et l’agressivité, ils vont se dire finalement, que cette colère et cette agressivité elle est légitime. Et au lieu de se remettre en question et de travailler sur eux, ils vont se dire que s’ils ne sont pas ce qu’ils aimeraient être, aussi virils, aussi biens socialement que ce qu’ils voudraient faire croire, c’est la faute finalement de la personne qui vit avec eux, et là en l’occurrence, toi. Pareil, pour des raisons d’éducation différentiée entre les hommes et les femmes, les hommes ont tendance à avoir ce qu’on appelle un « contrôle externe » en sociologie, plus important. Le contrôle externe c’est-à-dire que tu vas croire que tout ce qui t’arrives dans la vie est lié à des facteurs externes, en gros, c’est jamais ta faute. Alors que les femmes, à qui on a appris à plus douter, à se remettre en question, à être dans l’empathie et la compréhension de l’autre, à parler de ses expériences etc etc, va être plus dans le contrôle interne. C’est-à-dire que dès qu’il va y avoir un problème, elle va tout de suite se dire « ah bah tiens, j’ai peut-être fait une erreur, c’est peut-être de ma faute, en fait tout est ma faute, en fait je suis un monstre » et cette dynamique là de couple crée les problèmes qu’on connaît.

Anna : Moi j’ai toujours été quelqu’un d’assez entier si je puis dire, et d’assez transparent avec mon entourage et avec mes ami.e.s. Quand il y avait des choses qui me plaisaient pas, bon à part quand ça relevait vraiment de l’intime etc, moi je suis tout à fait capable de débattre, de pas être d’accord avec quelqu’un en société. Et lui par exemple il était pas capable de ça. Donc, même quand on avait par exemple des débats avec nos amis, et si moi j’étais pas d’accord avec lui, il se taisait, il se fermait et du coup il me disait « oui oui t’as raison » et du coup moi je le payais après. Alors je le payais après, même quand on était encore avec nos ami.e.s, il me prenait à part en me disant que je l’avais humilié dans le débat, que juste parce que j’étais pas d’accord avec lui, j’étais quelqu’un d’humiliant, j’étais quelqu’un de malveillant, que j’étais là pour le faire passer pou un con, enfin voilà. Dans toute cette violence et cette manipulation, y avait une grosse victimisation de sa part. C’est-à-dire que j’étais la folle, j’étais la personne hystérique, j’étais la personne jalouse, j’étais la personne qui lui faisait du mal, j’étais la personne qui l’humiliait. En fait tout ce qu’il me faisait vivre, et bah en fait il le retournait contre moi, et moi j’étais à ce moment là tellement sous emprise, j’étais vraiment incapable de voir que ce qu’il me disait, c’était exactement ce qu’il me faisait vivre. J’avais des espèces de lueurs à un moment donné, mais c’est arrivé vers la fin. Disons que moi en fait, sur la dernière année, on est resté ensemble 2 ans et demi, c’est là où j’ai vraiment commencé le travail pour le quitter, ça a quand même mis un an en fait.

Léane : Alors ce que tu décris là c’est hyper intéressant parce qu’on appelle ça l’inversion de la culpabilité. Comme l’explique Marie-France Hirigoyen : les femmes pensent que si leur partenaire est violent, c’est parce qu’elles n’ont pas su le combler, qu’elles n’ont pas su s’y prendre avec lui ou qu’elles ont eu un comportement qui était inadapté. Elles sont rendues responsables des difficultés du couple, le partenaire leur injecte la culpabilité que lui – et ça c’est très important – n’éprouve PAS. En inversant la culpabilité, un tour de magie s’opère, la victime devient l’agresseur et l’agresseur devient la victime. Ainsi, le piège se referme. 

Anna : Donc voilà comment se sont déroulées, en tout cas, toutes les violences au quotidien et cette victimisation de sa part. Victimisation qui engendre de la culpabilité chez nous, et qui engendre le fait qu’on se pense coupable de ces violences et du coup qu’on les tolère. Et à ce moment-là on est encore pas dans la phase de violence physique. C’est-à-dire que, quand on a déjà toléré ces violences psychologiques, qui se mettent petit à petit dans notre quotidien, je pense qu’on est capable de tolérer toute forme de violence. Et c’est de cette prison-là de laquelle il va falloir se sortir, contre laquelle il va falloir se battre, parce que sortir de cette prison c’est se rendre compte que la violence elle se situe pas que maintenant, et que la relation elle a pas été parfaite, et que la violence elle a commencé quasiment dès le départ. Ce qui fait qu’on se rend pas compte de ça, et qu’on ne peut pas l’admettre, on a pas envie de l’admettre, c’est ces fameux idéaux dont je parlais dès le début, qu’on a collé sur cet homme-là, qu’on a collé sur notre relation et quand je dis que la première prison c’est ces idéaux-là, c’est parce qu’en fait c’est ces idéaux qui vont faire qu’à chaque fois on va revenir sur notre jugement, on va dire « ouais il me parle mal, bah c’est de pire en pire, je me sens de moins en moins bien, ouais mais quand même il a des bons côtés et puis.. » sauf qu’en fait, les bons côtés pour lesquels on s’est mis avec lui, ils existent certes, parce que sinon on resterait pas, mais c’est pas que ça et c’est une infime partie de cette personne et du comportement qu’il a avec vous. On se rend compte après qu’on prend plus le package de la personne de façon globale, on prend que ses idéaux, et on retient que ces idéaux, et c’est ce qui nous fait tenir et c’est ce qui nous fait rester.

Léane : Est-ce qu’aussi, peut-être, le fait d’admettre que tu t’étais trompée sur cette personne dont tu étais amoureuse, ça a pu ralentir ton choix de partir ? 

Anna : Alors, aujourd’hui avec du recul je te dirais que oui, parce que j’ai fait le travail sur moi et qu’aujourd’hui j’ai un regard très extérieur finalement à cette situation. En tout cas j’ai la capacité d’avoir un regard très extérieur et avec beaucoup de hauteur, quand t’es dedans, pas du tout, tu te rends pas compte de ça. Par contre, moi au moment où j’ai commencé à me rendre compte de ça, c’est parce que du coup on était dans une procédure, on avait envie de se marier. Et en fait, quand tout ça s’était lancé, donc en fait au début on s’est fiancés. Moi je suis d’origine marocaine, avec ces fiançailles, du coup, avec le regard des autres, et ben on se dit, « olala maintenant je suis lancée, je peux plus revenir en arrière », et ça, c’est quelque chose qui m’a fait rester toute la dernière année. Parce que les fiançailles sont lancées donc le mariage est lancé, je suis engagée, je suis pieds et poings liés, je peux plus sortir de là. Et c’est vraiment un truc qui était devenu une réflexion, qui était devenue ultra évidente chez moi, alors que ça parait aberrant. C’est-à-dire que des fiançailles ce sont une fête avec des ami.e.s et ta famille et de la bouffe et c’est tout. C’est-à-dire que oui c’est un engagement solennel, oui c’est un engagement spirituel pour ma part, on peut toujours revenir en arrière, et en fait, cette prison elle est clairement psychologique. D’ailleurs ces fiançailles-là, ils ont été programmés à la suite d’une engueulade [rire], c’est horrible. En fait, je l’avais quitté, et y a eu une grosse scène d’engueulade, ça faisait je crois 6mois qu’on était ensemble, et en fait je l’ai quitté, et pour le coup j’ai été assez sereine dans ma décision et j’étais vraiment prête à la tenir. Voilà donc je sais plus, je crois qu’on s’était séparé il y avait une semaine, j’avais bloqué son numéro, je reprenais ma vie, j’allais bien en fait. Et puis, un jour je reçois un appel de sa mère, alors vous allez vous demander « qu’est-ce qu’elle vient foudre là-dedans ? », mais je reçois un appel de sa mère, de qui j’étais très proche et que j’aimais vraiment beaucoup et qui me dit « je suis désolée de t’appeler mais je sais plus quoi faire là, avec Vladimir, il est en pleurs chez moi, et tu sais il t’aime plus que tout, j’ai jamais vu mon fils comme ça » et en fait il a manipulé sa mère quoi. Enfin, après il a utilisé l’outil « maman » qui pour moi est très important, je sacralise beaucoup la maman. Et du coup il a utilisé cette forme de manipulation pour me faire revenir. Et bien sûr, moi j’avais encore des sentiments pour lui donc je me dis « putain mais il doit être super mal » et là s’enclenche le mécanisme de la sauveuse qui est ancré chez moi depuis toujours, chez moi dans mon éducation, dans mon histoire de vie, voilà pour moi, on laisse pas les gens dans la merde quoi. Et en fait là je me dis « putain mais c’est sa mère, que j’affectionne et qui m’affectionne, et c’est une daronne quoi ! [rire] » du coup c’est un peu la sagesse, « qui me dit ça. Putain mais j’ai vraiment abusé là ». Et là je lui dis, j’envoie un message à Vlad’ après cette conversation, en lui disant « viens chez moi, on va parler. ». Et en fait, je me sentais mal, il est venu chez moi et je l’ai consolé quoi. Je l’ai consolé alors que c’est lui qui m’a hurlé dessus, et qui s’est barré en me laissant, en sachant que ça me faisait du mal quoi. Et là, avec du recul je me dis « ouais, effectivement la prison était déjà bien ancrée. ». T’sais il me dit « faut que je te dise, le truc c’est que moi je connais pas ta famille, toi tu connais la mienne, je me suis beaucoup plus engagé dans cette relation que toi, et je sais très bien que pour toi », en fait moi je voulais présenter que une seule personne à ma famille, puisque je suis d’origine marocaine et je suis musulmane donc j’avais un peu ce mythe de « j’ai envie de présenter une seule personne », c’était ancré chez moi. Pour moi, si je présentais quelqu’un c’était pour me marier avec en fait. Et du coup, ça il le savait et il avait compris et il m’avait dit « voilà, moi j’engage tout, j’engage ma famille, mes potes etc, donc du coup t’es pas engagée de la même manière et en fait c’est ça qui me fait péter un câble à chaque fois, et ça qui me rend violent ». Et là, pour moi c’était « putain, on a une explication à cette violence. », complètement aberrant, la fille qui se raccroche au premier argument potentiellement qui tient la route, ou en tout cas, qui lui donne espoir, et du coup je me dis « ouais, c’est vrai il faut qu’on s’engage plus. ».

Léane : Ce que tu décris-là, le fait que les violences physiques sont apparues au moment où vous étiez fiancés, c’est quelque chose que j’ai retrouvé chez toutes les victimes que j’ai interrogé.e.s. C’est quelque chose qu’on remarque aussi dans les études, c’est-à-dire que la plupart du temps, lorsqu’une femme meurt, elle était mariée. L’idée que les violences physiques commencent au moment des fiançailles ou d’un engagement est extrêmement présente. Et le fait que les agresseurs poussent aussi à l’engagement, est extrêmement présent aussi. Pour plusieurs raisons, je pense aussi que premièrement, la base d’une société patriarcale c’est quand même une société où la femme par le mariage, devient la propriété de l’homme. Et je pense qu’on a encore des résidus de cette pensée-là, où le mariage c’est finalement, la femme devient UNE des propriétés de l’homme. Et ensuite, y a aussi cet aspect que quand on est marié, quand on est engagé, quand on est fiancé, on a, comme tu le décrivais très bien, le regard des autres sur soi. Et je pense que les agresseurs le savent et se disent « voilà, elle ne veut pas être cette femme qui divorce, et je peux en profiter, et je peux jouer en fait, de cette institution qu’est le mariage, pour retourner cette tradition à mon avantage. Et finalement, rendre mon emprise bien plus grande encore sur ma victime. ». Et vraiment c’est quelque chose, un schéma, qu’on retrouve chez énormément de personnes qui subissent de la violence conjugale. 

Anna : Et je lui ai dit « mais tu sais que si je te présente à ma famille, c’est pour qu’on se fiance, pour qu’on se marie derrière. » et il me dit « oui oui j’en suis conscient, et je suis prêt ». Et là, dans la semaine qui suit, grosse précipitation de ma part, c’est de ma faute, je me suis pas assez engagée dans cette relation, je présente le mec à ma famille, je les appelle en leur disant « j’ai quelqu’un à vous présenter, on va se fiancer. ». Et là, [rire], grosse erreur de ma part, mais en tout cas c’est comme ça que ça s’est passé et ça a été une autre couche, comme je dis, de prison et de pression, puisque vient l’engagement, vient la pression familiale, que moi-même je m’étais mise en fait, que moi-même j’avais soupçonnée, la pression du regard des gens, puisque quand tu dis que tu vas te fiancer, tu dis que tu vas te marier donc tous les gens ils sont focus sur ça. Et là, vient ce truc de « je peux plus m’être trompée ».

Léane : Mais tu vois ça en revient à ce que je disais, c’est-à-dire du moment où tu as été engagée, lui, inconsciemment ou consciemment on ne le saura pas, s’est dit « j’ai la permission de », et c’est très intéressant, parce qu’on le voit dans la construction de la culture masculine, ils ont pas d’autres alternatives à la violence pour répondre à un conflit. Et cette violence elle est glorifiée dans la culture masculine à travers, par exemple le sport, la boxe, le cinéma, la littérature, tout cet imaginaire autour de la guerre. On va demander aux hommes de répondre à des conflits par la violence, et ne même temps on va leur inculquer que la femme, bah la femme avec laquelle ils se marient, c’est LEUR femme. Et donc il y a quelque chose qui se lie entre ces deux constructions sociales, finalement, qui est que « c’est MA femme, c’est MA possession, elle est engagée avec MOI, et pas un autre, maintenant. Donc elle m’appartient quelque part un peu ». Comme tu le disais « son corps m’appartient » et si y a un conflit, je le résoudrais de la seule façon qu’on m’a appris, à le résoudre pour un homme, c’est-à-dire, en utilisant l’agressivité et la violence. ». Attention, c’est pas forcément des schémas qui sont conscients et finalement on en revient toujours à ce problème de : dans la construction masculine, on apprend moins bien à gérer ses émotions, et finalement la seule émotion qui est autorisée à être développée et exprimée quand on est un homme, c’est la colère. Et du coup, toutes les émotions vont se canaliser et se centrer autour de la colère, si bien que lorsque la frustration s’accumule chez un homme - encore une fois, on parle de généralités bien sûr-, elle va s’exprimer, et ressortir par l’agressivité, par la colère, parce que c’est le modèle masculin de la virilité qui est véhiculé dans la société aujourd’hui. Cette idée que toutes émotions intériorisées des hommes qui n’ont pas pu s’exprimer en pleurant ou en parlant avec leurs amis, et qui ressort sous la forme de colère, on appelle ça la « cocotte-minute », c’est exactement pareil. Attention hein, ça ne justifie absolument pas les violences, je viens juste rajouter un point de vue complémentaire qui peut expliquer pourquoi c’est une tendance qu’on retrouve plus chez les hommes. Voilà, j’ai assez parlé, je te laisse reprendre hein.

Anna : C’est-à-dire, que si je reviens en arrière, c’est admettre que je me suis trompée, que c’est pas possible parce qu’on va se marier donc je peux pas me tromper. Pleins de couches de barreaux qui viennent fermer cette prison, pleins de couches petit à petit qui viennent nous enfermer. C’est quand même pas des choix qui sont délibérément consentis, délibérément décidés, puisque y a cette notion de l’emprise. En fait, les mécanismes psychologiques de la violence conjugale ce sont des mécanismes petit à petit qui commencent, quasi dès le début en fait. Les violences se sont accrues et les violences physiques ont commencé. Comme si en fait, le fait que moi je sois engagée, c’était une menotte de plus, des barreaux en plus à cette prison, qu’il avait remarqué. Et du coup il me disait, ou dans sa tête, ça devait être ou inconscient, ou conscient j’en sais rien, mais ça y est là en fait elle m’appartient encore plus, du coup maintenant son corps va m’appartenir puisqu’en fait niveau psychologique c’est fait. Ça a commencé par des bousculades quand on s’engueulait, ça a fini par des coups où c’était des tornades de violence pour moi, vraiment, c’était des moments très « courts », mais qui pour moi étaient extrêmement violents, et qui étaient extrêmement violents dans les faits. Et en fait, moi, de mon ressenti, je le vivais vraiment comme je passais sous une tornade, comme si il avait une tornade qui me passait dessus, c’était vraiment, c’est le seul souvenir que j’ai vraiment aujourd’hui. Et après, bah on se regarde, et en fait, on a des marques, et après on se regarde et on a mal, on a des courbatures. Et en fait on se dit mais putain dans quoi je suis tombée quoi. Dans quoi je suis tombée ? J’ai, au début, vraiment minimisé ses violences quand elles étaient des bousculades, quand elles étaient de casser des objets, de mettre des coups dans les portes, quand elles étaient de me secouer, de me pousser. Ça je l’ai vraiment minimisé parce qu’en plus j’y répondais, c’est-à-dire qu’il me poussait je le repoussais, dans le sens où je vais pas me laisser faire quoi, et du coup il me tenait, je le poussais aux coudes. Dans les mécanismes de culpabilité,  il m’a fait ça « toi aussi t’as été violente avec moi », bah tu le crois, mais tu le crois vraiment. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, ce qui est assez flippant c’est que, aujourd’hui, grâce à un travail sur moi, grâce à un accompagnement au top, je suis vraiment sortie de ça, et c’est important d’ailleurs, pour moi, de parler du fait qu’on est pas définie en tant que violence conjugale et qu’on s’en sort, et qu’aujourd’hui je ne suis plus victime de violences. Donc la première fois qu’il m’a recontactée, je lui ai dit « est-ce que tu es conscient de ce que tu as fait ? est-ce que tu es conscient des mécanismes dans lesquels on était et les mécanismes dans lesquels tu m’as mise ? » et il a toujours ce discours de dire « nan mais toi aussi tu étais violente » quoi, mais WOW quoi. Et c’est ça qui est, il faut s’attendre à ce qu’ils reviennent, ils reviennent toujours, ces personnes-là, et il faut s’attendre à ce qu’ils reviennent pour essayer à nouveau d’avoir une emprise. Les bourreaux, les mecs violents reviennent tout le temps pour essayer de voir s’ils ont toujours une emprise sur vous. Par ce qu’en fait le contrôle c’est ce qui les fait vivre, c’est ce qui les fait survivre et c’est un peu comme quand on nourrit un animal, bah voilà sa viande c’est sa nourriture et c’est ce qui fait que l’animal a de la force et tient. Le contrôle, c’est ce qui fait que ces personnes-là tiennent et survivent. Aujourd’hui vraiment j’ai du recul, mais à ce moment-là dans ma relation et dans la situation d’emprise dans laquelle je suis, je suis incapable de rendre compte que je ne suis pas une personne violente mais que je me défends en fait. Et que je réponds par l’agressivité oui, mais en même temps quand on a quelqu’un qui nous agresse, qui nous pressurise, qui nous violente en face de nous, et bien à un moment donné, oui, on répond en poussant, on répond en mettant à distance, sauf que du coup, la mise à distance elle se fait forcément par la force à un moment donné puisque cette personne elle utilise la force contre nous. Donc non, mesdames, vous n’êtes pas violentes, vous vous défendez. Et ça c’est vraiment important de l’avoir en tête. Pour moi la scène de violence qui a vraiment fait un déclic, c’était 2 jours avant Noël, on faisait Noël avec nos ami.e.s et ma sœur et ses enfants et mon beau-frère venaient pour Noël avec ses parents chez nous. Deux jours après, y a eu cette scène-là, donc on a fini par s’engueuler, à cette soirée, les gens sont partis et en fait, ça a été une scène absolument atroce et très longue, c’est-à-dire qu’il m’a frappée, il a défoncé la porte. En fait je sentais que la violence montait, donc je suis montée dans la chambre et j’ai fermé la chambre à clé. Du coup il a défoncé la porte et il m’a frappée, il m’a tiré les cheveux, et ensuite il m’a mise dehors et il a fermé la porte. Et j’étais dehors, pieds nus, avec une jupe et des collants déchirés parce qu’il m’avait frappée et ça aussi c’est une forme de violence, exclure la personne de son domicile. Et je crois qu’en fait pour moi, cette scène-là, c’était en décembre et moi je l’ai quitté en juin, donc c’était quelques mois avant que je le quitte. Pour moi cette scène a été : il faut que tu trouves les moyens techniques pour le quitter. C’est-à-dire que le deuil était fait, et c’était « plus que » du technique à savoir comment tu vas faire pour te barrer de là, et c’était pour moi, on reviendra plus jamais en arrière. Cette scène-là, le fait qu’il m’ait virée de chez moi, et la violence de cette scène, c’est-à-dire que ce jour-là, quand je me suis enfermée dans ma chambre, je me suis dit, je pense que je me suis dit « il va me tuer » en fait, vraiment. Je me suis dis « là, je suis vraiment en danger de vie ou de mort en fait », c’est-à-dire que mon intégrité physique est en danger à un point qu’on avait jamais atteint jusque-là. Le lendemain, ou le surlendemain, il m’a quand même dit « je ne t’ai pas frappée, je t’ai juste secouée et tirée les cheveux. Mais je ne t’ai pas frappée. » Voila.

Léane : Ce que tu décris là comme phénomène, c’est un phénomène qui est hyper connu qui s’appelle le Gaslighting, et c’est tout simple en fait, il s’agit de mentir. Une victime par exemple elle va te dire « tu m’as frappé.e. » tu vas lui dire « non je ne t’ai pas frappé.e tu es fou.lle tu viens d’inventer ça. » et en fait tu vas être tellement sous emprise, tellement douter de toi, que tu vas finir par douter que la chose soit réellement arrivée. Et l’agresseur en tout cas, c’est ce qu’il va essayer de faire, de te manipuler et de te faire croire que t’as exagéré, que toi aussi t’as été violent.e, que finalement tu te fait des idées quoi. Et sauf que comme c’est, encore une fois dans la construction sociale des femmes, on leur dit qu’elles font un peu des histoires, et que les femmes sont plus amenées à se remettre en question, ça va être plus facile pour elles de le croire. Mais alors la question qu’on peut se poser c’est pourquoi ce comportement il est récurrent plus chez les hommes ? Alors d’après les explications que j’ai pu trouver c’est tout simplement parce que les femmes dans leur construction sociale, on va les élever et les éduquer dans l’idée de plus faire attention à la remise en question, à plus s’introspecter, s’écouter, les femmes vont avoir tendance à plus parler de leur ressenti et donc vont développer des qualités sociales et atteindre un niveau plutôt adulte, alors que les homes vont garder ce comportement-là, qui est un comportement de l’enfance, c’est exactement pareil que l’enfant qui dit « ah bah non c’est pas moi qui ait mangé de la mousse au chocolat » avec de la mousse au chocolat partout sur les lèvres. C’est du Gaslighting. Et c’est quelque chose d’ailleurs qu’on ne retrouve pas seulement chez les victimes de violence conjugales, c’est une dynamique de couple qui est extrêmement répandue. Une partie des hommes bien sûr, pas tous les hommes, va rester dans ce schéma là d’enfance, parce qu’il aura pas assez travaillé les valeurs d’empathie, de remise en question, de partager ces expériences, en fait tout simplement des valeurs sociales et des qualités sociales. Comme le schéma de la virilité ne pousse pas les hommes à développer ce potentiel précis de qualités sociales, les hommes vont plus avoir tendance à reproduire ces schémas enfantins de Gaslighting.

Anna : Le lendemain, je retourne chez moi et, et en fait la scène elle est toute aussi violente finalement pour mes yeux, ce soir-là il a dormi chez nous, et le lendemain il dort à l’hôtel. Donc il me donne pas de nouvelles, c’est encore le jeu de l’abandon, du coup moi c’est ce qui me préoccupait vraiment à ce moment-là. Et alors déjà moi j’arrive chez moi, et je me rends compte que c’est le bordel, que y a pleins de trucs de cassés etc et putain la porte elle est quand même défoncée, et en fait, ça me rappelle la violence de la scène de la veille. Et, mécanisme de défense qui peut paraitre très débile, mais ça l’est pas, le cerveau se met en place, et là, le truc auquel je pense c’est « ma famille arrive demain, pour fêter Noël. Voila. Qu’est-ce que je vais faire de tout ce bordel ? Qu’est-ce que je vais faire de cette porte cassée ? Il faut qu’on fasse quelque chose parce que sinon ils vont savoir que je suis victime de violences conjugales. » et en fait comment s’est passé cette scène-là. Mais moi cette scène ça a été : là, c’est fini en fait. J’ai eu des moments où je me suis dit mais « non tu peux pas annuler ton mariage etc » et c’est ce qui fait que ça a duré 6 mois, mais mon amour pour lui était fini en fait, et je me rendais compte que j’avais juste peur d’être seule et que j’avais peur d’annuler ce mariage. 

Léane : Suite à ce déclic, Anna trouve enfin les ressources nécessaires pour quitter son conjoint. Grâce également à un super entourage et à une psychologue qui l’accompagne, elle arrive à guérir sa peur de l’abandon et prend définitivement son envol. Aujourd’hui Anna, est-ce que tu peux nous dire, qui es-tu ?

Anna : Une femme, plus sure d’elle, avec une estime d’elle-même qui est stable et qui décide de partir et de vivre son rêve pendant 7 mois en Amérique du Sud quoi. Donc voilà, le pari est gagné, je suis plus victime, je ne serai plus victime de violences conjugales et aujourd’hui j’ai envie de mettre mon expérience au service des femmes qui sont dans cette situation, ou qui viennent de sortir de cette situation et qui sont dans une situation un petit peu instable, et qui se demandent si c’est encore leur faute, ou tout simplement des personnes qui vivent parfois peut être les prémisses de ces violences-là et qui, en écoutant ce témoignage, vont se rendre compte que ça commence par là et qu’il faut déjà avoir la sonnette d’alarme qui est allumée. Et puis peut être que ça permettra tout simplement d’avoir une simple connaissance sur les mécanismes psychologiques de la violence conjugale et qui du coup forcément, d’un lien de cause à effet fera que certaines personnes n’y tomberont pas quoi.

Léane : Est-ce que tu penses que dans une société où le couple n’était pas une institution « aussi sacrée », où l’on véhicule quotidiennement l’idée que la jalousie et la souffrance au sein d’un couple finalement ça a quelque chose de normal et aussi qu’une femme elle doit un peu chercher son prince charmant tout au long de sa vie, est-ce que tu penses que tu serais quand même tombée dans les mécanismes de la violence conjugale sans ce contexte social là ?

Anna : Sincèrement je pense que non. Après, on peut pas savoir je suis pas médium, et avec des si on refait le monde. Mais, ce truc de prince charmant, de la femme n’existe « que lorsqu’elle est en couple, que lorsqu’elle est avec un homme », la femme existe par cette image de perfection qu’elle doit donner et en plus on te fait croire que l’homme parfait existe et que la relation parfaite existe. Et surtout, on te fait croire que, on te banalise la violence conjugale en disant : « oui mais y a quand même des hauts et des bas dans tous les couples » oui, y a des hauts et des bas dans tous les couples, c’est une certitude, mais la violence ne fait partie de tous les couples, et heureusement, et elle ne doit en aucun cas faire partie des bas que tous les couples traversent. Et du coup je pense qu’effectivement si j’avais pas eu cette idéalisation de l’homme, du couple, du prince charmant et compagnie, je ne serais pas tombée dans ces mécanismes-là.

Léane : Est-ce que pour conclure tu aurais des conseils, d’une part, pour l’entourage, et ensuite pour les victimes potentielles elles-mêmes, à nous donner ?

Anna : Pour la victime, effectivement, il y a des numéros, faut pas hésiter à ne jamais s’isoler. Moi, la force que vraiment j’ai eu, et ce qui m’a aidé c’est que j’ai toujours refusé de m’isoler, j’ai toujours refusé de ne pas voir mes copines même si il les aimait pas, et ça, ça m’a aidé.e parce qu’en fait ça m’a permis, quand j’ai quitté cette personne, j’ai envoyé un message à une de mes deux mes meilleures amies en lui disant « voilà ce que je vis, je veux ton regard extérieur stp ». Et elle m’a dit « c’est de la violence, tu arrêtes, c’est stop ». Et en fait, elle m’a aidé après. Et du coup le fait que je me sois jamais isolée, même si je parlais pas forcément de ça, j’étais pas seule. Et ça c’est hyper important, parce que l’isolement ça fait vraiment partie des mécanismes de la violence conjugale. Moi il a tenté, il n’a pas réussi, mais il a tenté, et du coup ça fait partie du truc aussi. Parce qu’en fait, une fois qu’on est isolé, on est un peu renfermé sur cette prison avec trois cadenas et ça va être un peu plus compliqué du coup d’aller la rouvrir. Pour l’entourage, vraiment, moi j’ai eu un entourage génial franchement, ce qui a fait que je n’ai pas eu d’aide de mon entourage au début, c’est que j’en ai pas parlé. Mais en fait à partir du moment où j’en ai parlé, j’ai eu une aide géniale, j’ai eu des aides, des copines géniales, des copines de famille, des copains géniaux. Moi ce que vraiment je conseille c’est d’être à l’écoute et de faire en sorte de ne pas juger. Parce qu’en fait c’est compliqué à comprendre quand on est en dehors de ça, c’est vraiment compliqué. Et moi aujourd’hui qui suis sortie de cette violence conjugale, parfois je suis à l’écoute de personnes qui sont des femmes qui sont victimes de violences, et en fait, y a une partie de moi qui dit « mais putain, tu vas réagir ! » et alors que je suis passée par là. Les personnes qui ne sont jamais passées par là, putain ça les démangent parce qu’en fait, elles nous aiment, elles pensent à nous, et c’est en toute bienveillance qu’elles ont envie de nous secouer en disant « mais tu vas ouvrir les yeux bordel de merde » et non c’est un long processus. Donc oui, ne les abandonnez pas, les victimes de violences conjugales parce que déjà souvent elles ont une grosse blessure de l’abandon, donc elles ont besoin de vous, et qu’elles ont besoin de votre écoute et c’est un mécanisme compliqué, et ça ne se fera pas en une fois. C’est pas parce qu’une fois, elle vient et elle dit « putain c’est bon ça y est, je vais le quitter », qu’après elle y retourne une semaine après, qu’elle s’en fout et que votre écoute ne sert à rien etc. Non ça sert toujours, votre écoute elle servira toujours, votre non-jugement servira toujours, et ça participera au fait qu’elle ne s’isole pas. Un autre conseil que je peux donner, c’est ne pas hésiter à essayer de réassurer, au sens de redonner confiance à cette personne, en disant que c’est pas de sa faute, qu’elle n’est coupable de rien, que certes, elle a fait des choix, que certes elle se défend peut être par de l’agressivité, que certes parfois elle a des comportements qui sont pas corrects, comme toute personne en couple, comme tout être humain sur cette terre. Mais que ça ne fait pas d’elle quelqu’un qui mérite les violences, et que ça ne fait pas d’elle quelqu’un de malveillant, de manipulateur ou je ne sais quoi. Faire en sorte d’un peu casser ce que va essayer d’immiscer dans sa tête le bourreau. Et ça c’est vrai que dans les relations amicales on a tendance à le faire naturellement, en disant que la personne est belle, de relever les qualités. Et c’est vrai qu’avec les personnes victimes de violence conjugale, pour moi c’est d’autant plus important. Oui le regard que mes ami.e.s avaient sur moi était absolument génial, mais en tout cas j’ai eu un soutien assez énorme de mes ami.e.s, e que je préconise c’est une écoute et une bienveillance dans notre discours en sachant que, la personne ne le quittera pas du premier coup. En fait, si elle est déjà inscrite dans des mécanismes de violence et dans une emprise, elle ne le quittera pas du premier coup et il faut être indulgent avec ça, même si ça vous renvoie à des choses qui sont difficiles, qui sont compliquées. Donc voilà, restez à ces côtés, que ce soit par l’écoute, que ce soit, je sais pas, en lui donnant peut être des numéros que vous connaissez, en vous abonnant à des pages Instagram et en conseillant ces pages là à ces personnes-là, parce que ça marche aussi beaucoup sur les réseaux, le fait d’ouvrir les yeux en la mettant en lien avec des pages qui fournissent des témoignages ou des choses comme ça. En fait ça peut vous paraître tout petit, ça peut vous paraître anodin, mais le fait de rester à côté d’elle et de lui donner des petits tips comme ça et d’être à son écoute, c’est vraiment ce qui va faire qu’elle va sombrer dans l’isolement et vous pouvez la sauver en fait, vous vous rendez pas compte je pense, de l’impact que juste votre présence et votre écoute a sur une personne qui vit des violences conjugales. 

Léane : Merci Anna, d’être venue nous parler de ton histoire, dans la deuxième partie de ce volet, consacré aux violences conjugales, nous nous intéresserons à l’aspect judiciaire et politique de cette question, merci à Bellaire Musique pour la bande originale, Mécréantes est un podcast indépendant qui cherche un sponsor, donc n’hésitez surtout pas à me contacter si vous souhaitez sponsoriser l’émission, n’hésitez pas à laisser 5 étoiles sur Apple Podcast ainsi qu’un commentaire pour m’encourager, merci à vous tous et toutes pour l’écoute et à très vite.