Mécréantes

Rencontre entre Florence Porcel et Léane Alestra

Léane Alestra Season 2

[ Repost Les événements d'utopia ], une chaîne à découvrir en cliquant ici

Modération et montage de Sébastien Carassou : 
Le jeudi 30 mars, nous avions l'immense plaisir de recevoir à la librairie, Florence Porcel et Léane Alestra; autour de leurs deux ouvrages respectifs "Honte" et "Les hommes hétéros le sont-ils vraiment ?" les deux autrices abordaient le sujet des violences sexistes et sexuelles, et des masculinités.

Ce podcast retranscrit cette rencontre qui s'est organisée autour de la présentation de leurs ouvrages respectifs par les deux autrices, puis de questions posées par les animateur.ice.s. Nous vous remercions pour votre écoute ! L'équipe de la Librairie Utopia



00:00:03
 Sébastien: Bienvenue au mouvement Utopia et son podcast. Les événements Utopia Chercheurs, chercheuses, citoyens, citoyennes présentent leur ouvrage qui contribue à imaginer une société du bien vivre à la librairie Utopia. Bienvenue à la librairie Utopia. Vous vous trouvez ce soir dans les locaux d'une petite librairie parisienne autogérée qui est spécialisée dans les ouvrages fondamentaux de l'écologie politique et des luttes d'émancipation. Cette librairie est associée au mouvement Utopia qui est une association d'éducation populaire qui réfléchit collectivement à un projet de société qui soit à la fois soutenable et émancipateur, c'est à dire libérée des rapports de domination. Et cette association, elle comprend également une maison d'édition, les éditions Utopia, qui publie de nombreuses essais politiques sur des sujets variés que vous pourrez retrouver ici même et que je vous encourage fortement à feuilleter. Donc moi je m'appelle Sébastien, je suis bénévole à la librairie et j'aurai l'honneur d'animer la rencontre de ce soir. Rencontre sur un thème assez sombre mais quand même nécessaire puisqu'on va parler des liens qu'on peut tisser entre la construction des masculinités contemporaines et les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes, les fameuses VSS. Donc vaste sujet donc, Mais on va partir d'un constat déjà qui est universellement partagé et extrêmement bien documenté. Maintenant, ce constat, c'est que l'immense majorité des violences faites aux femmes sont commises sur prise par des hommes. Ces violences, elles peuvent être physiques bien sur, comme des coups. Elles peuvent être psychologiques, comme des injures ou du harcèlement moral. Et dans le cadre des violences sexuelles, les deux composantes physique et psychologique peuvent être présentes. Donc, pour vous donner une idée de l'ampleur du problème, selon le dernier rapport du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes en France, on a une femme sur sept qui déclare avoir reçu des coups de la part de leur conjoint. Et une femme sur trois qui déclare avoir déjà vécu un viol au cours de leur vie. Et ça, c'est sans compter les féminicides. A l'heure où je vous parle, c'est à dire fin mars 2023, l'association féministe Nous toutes recense au moins 31 féminicides sur le territoire national, ce qui représente en moyenne un décès tous les trois jours environ. Donc ces chiffres, personnellement, je les trouve glaçant. Je ne sais pas pour vous parce qu'ils témoignent quand même d'une violence qui est à la fois profonde, systémique, structurelle et à mon sens, qui devrait interpeller quiconque souhaiterait vivre dans une société un peu moins violente et un peu plus juste. Donc dans ce but, je vous propose de réfléchir ce soir à la nature des mécanismes qui permettent à ces violences de se perpétuer. Et l'idée qu'on va explorer ensemble, c'est que ces violences ne sont pas causées par une espèce de nature masculine qui serait par essence plus violente, mais plutôt par une construction sociale et historique, et plus précisément par la socialisation des hommes dits hétéro dans une société patriarcale. Donc on va voir que cette socialisation, elle crée des représentations et un contexte qui favorise les violences faites aux femmes et qui les normalise et qui fait que les agresseurs ont tendance à se soutenir entre eux. Donc au passage, on en profitera pour détruire certains mythes qui sont encore tenaces et qui servent encore aujourd'hui à justifier la domination masculine sur les femmes, mais aussi la domination entre les hommes. Donc pour ce thème absolument fascinant, j'ai la chance d'accueillir à côté de moi Florence Porcel. Florence, tu es autrice et parmi la quarantaine de femmes qui ont témoigné pour dénoncer les agressions sexuelles et les viols de Patrick Poivre d'Arvor, tu as été la première à avoir eu le courage de le faire publiquement et tu viens nous présenter Honte qui est une plongée à la première personne dans la honte ou plus précisément dans l'humiliation publique que tu as vécu suite à la plainte que tu as déposée en 2021 à l'encontre de PPDA pour viol aggravé, viol que tu as notamment relaté de manière assez poignante la même année dans Ban d'Aurigny, qui est un roman d'inspiration autobiographique dans lequel tu explore les mécanismes d'emprise et le traitement médiatique des VSS. Mais on ne sait pas seulement le récit de ton expérience personnelle. C'est aussi une analyse du traitement juridique des victimes des violences sexuelles en France qui est absolument révoltant et des hontes qui sont spécifiquement liées au genre féminin et qui permettent en pratique d'asseoir la domination masculine, comme toujours. Et dans cet essai, tu plaide pour un monde où la honte change enfin de camp qu'on espère. On espère que ça arrivera un jour. Et à ma gauche, j'ai Lena Lestrade qui est autrice et animatrice de mécréantes, qui est un super podcast et a une page Instagram féministe qui interroge nos représentations autour du genre et tu publies aux éditions JC Lattès, ton premier essai, Les hommes hétéros le sont ils vraiment? Un titre qui interpelle l'homme hétéro que je suis. C'est un essai assez documenté dans lequel tu invoques la sociologie, l'histoire, l'anthropologie, la théologie, la littérature et la pop culture pour décrypter les ressorts des relations romantiques hétéro. Et dans ce livre, tu proposes notamment une explication d'un phénomène social assez paradoxal, en tout cas en apparence. Ce phénomène, c'est que le fait que les hommes hétéros ont tendance à désirer avoir des relations avec des femmes tout en s'intéressant assez peu aux femmes en question, voire même dans certains cas, à comettre des violences sur elles. Donc cette explication, on peut la résumer par cette citation de Virginie Despentes, qu'on retrouve d'ailleurs au début de ton livre. Cette citation elle dit Les hommes aiment les hommes, ils nous expliquent tout le temps combien ils aiment les femmes, mais on c'est toutes qui nous bombardent. Ils s'aiment entre eux. Donc on a commencé dans le vif du sujet par l'épineuse question de la parole des victimes, et plus précisément de la remise en question de cette parole dans l'espace public. Quand les survivantes de violences sexuelles parlent de ce qu'elles ont vécu ou qu'elles dénoncent publiquement leurs agresseurs, il y a quand même certains poncifs qu'on retrouve de manière assez systématique dans la bouche de personnes extérieures qui commentent ces témoignages. Ces personnes, ce sont le plus souvent dans des hommes, parfois des proches, qui ont tendance à nier, voire invalider l'expérience de ces victimes, à défendre les agresseurs, voire même à légitimer la violence qu'elles ont vécues sous prétexte qu'elle l'aurait bien cherché. Il faut savoir que ces poncifs font partie d'un contexte culturel plus large que les sociologues appellent la culture du viol. Vous avez toutes les deux eu à faire face à de tels commentaires. Vos échelles respectives, c'est quoi selon vous, ces poncifs qui reviennent le plus souvent et comment est ce qu'on les démystifie?

00:06:13
 Florence: Oui, alors parmi les les mythes que l'on entend régulièrement que moi j'ai vécu, c'est d'abord bon. Déjà, il y a une présomption de malhonnêteté sur les femmes qui dénoncent des violences sexistes et sexuelles. On les gens parce que voilà, je vois ça comme un groupe pas forcément homogène, mais en tout cas je ne sais pas à qui individuellement dit ça, mais ce sont des des retours que j'ai eu, des réseaux sociaux de. Enfin voilà. Donc c'est une masse que je ne peux pas appeler autrement que les gens. Mais les gens partent du principe que si une femme dénonce des violences sexistes et sexuelles, c'est pas forcément parce qu'elle a vécu des violences sexistes et sexuelles, mais parce qu'elle a un intérêt à le faire. Un intérêt qui serait qui serait financier. On ne voit pas trop où, parce que je rappelle que personne n'a quoi que ce soit à gagner à dénoncer ce genre de violences et a fortiori financiers. Enfin, je sais, on n'est pas dans le système américain où il y a des arrangements qui se font à coups de à coups de chèques à 1 million. Voilà, c'est en personne. Enfin, ça n'existe pas en France, c'est juste qu'il n'y a même pas d'exception pour confirmer la règle. Ça n'existe pas, ça s'appelle une licorne. Voilà une créature qui n'existe pas, mais laquelle? Les gens croient beaucoup également. Le fait qu'on ait un intérêt de gloire à raconter ce genre de choses. Alors je ne vois pas qui aurait envie d'être connu pour raconter. Être connue pour pour des faits de violences sexuelles, c'est super intime, c'est super humiliant. Personne n'a envie d'être connu pour ça en fait. Donc ça, c'est vraiment les plus gros. Les reproches qu'on nous fait en tout cas systématiquement ceux qui arrivent le plus fréquemment et comment on peut les démystifier. C'est très simple, on en demande des chiffres. Souvent ça calme tout le monde. Enfin en fait ça calme pas. C'est ça qui est déprimant. C'est que voilà moi, ce que ce que j'ai découvert en écrivant mon livre, c'est par exemple en 2020, le montant moyen des dommages et intérêts que reçoit une victime de viol Quand elle a gagné son procès et que son agresseur a été condamné, c'est 24 000 €. Voilà, on est loin des millions d'échecs américains et ces 20 84 000 €, donc en moyenne qu'il faut mettre au regard du prix de la procédure judiciaire qui va de plusieurs milliers d'euros à plusieurs dizaines de milliers de milliers d'euros, ça est à mettre au regard des frais dépensés pour se soigner. Par exemple les psychothérapies qui sont pas remboursé par la sécurité sociale, des médicaments, éventuellement des médecines alternatives. Enfin bon bref c'est tout un tout un budget en fait pour se remettre d'agression sexuelle ou de viol. Et je ne suis pas sûr au final que 24 000 € suffisent à rembourser déjà la victime de ce qu'elle a dépensé et il ne lui reste plus rien pour les dommages et intérêts, vraiment en termes de préjudice subi. Bon donc ça c'est une première chose. Et la gloire, vraiment je. Encore une fois, personne n'est devenu célèbre et n'a construit sa carrière ou je ne sais quoi ou une vie heureuse et épanouie après avoir dénoncé des violences sexuelles. Je n'ai pas de. Je n'ai pas d'exemples, c'est pareil, ça n'existe pas. Donc encore une fois, cet argument n'est nul et non avenu. Malheureusement, c'est vraiment des choses qu'on qu'on se prend dans la figure systématiquement et. Et il y en a d'autres bien sûr, mais je vais passer la parole à Léane.

00:09:32
 Léane: Un petit chiffre aussi dont on parle peu, c'est que par exemple, les victimes de viol et de violences sexuelles ont 47 % de chance supplémentaire de choper une maladie auto immune suite à des viols. Et en fait, les conséquences des traumatismes qui sont physiques, on en parle très peu et effectivement comme tu le disais, il y a aucun dommages et intérêts. Donc voilà, c'est des choses qui sont très concrètes et et qui sont complètement masquées en fait, même des revendications féministes parfois ce truc de rendez l'argent parce qu'il y a des gens en fait, ils perdent quinze ans de carrière et du coup ça impacte sur leur retraites et c'est un sujet d'actualité. Ça c'est quelque chose qui est vraiment très tentaculaire et on en parle très peu. On parle aussi pas. Voilà des personnes qui vont développer de la schizophrénie ou d'autres problématiques suite à des violences sexuelles. C'est vraiment quelque chose qui est très impactant et très large. Pas pour tout le monde, mais pour certaines victimes. Euh. Moi dans mon cas j'ai subi des viols au lycée de la part de ce que je pensais être mon meilleur ami qui a souvent ça apparaît dans un contexte où moi j'avais des problèmes familiaux etc. Donc du coup je me j'allais beaucoup chez ses parents et cetera. Donc il y avait un terrain qui était très favorable avec une lui il était très bourgeois, avait beaucoup d'argent, donc il y avait vraiment un ascendant aussi, même si c'était bien moins que j'imagine. PPDA Mais voilà, du coup, donc j'étais en terminal et je me suis retrouvé avec du coup le directeur qui a été convoqué au camp, J'étais la troisième fille donc il était vraiment il a fait une dizaine de victimes. Mais bon, c'est un blond aux yeux bleus bourgeois, donc il n'a jamais été inquiété pour ce qu'il a fait. Et même c'est pire que ça parce que du coup, je me suis retrouvée dans le bureau du proviseur qui m'a demandé de détailler tous les rapports sexuels que j'avais eu dans ma vie, de lui dire exactement combien de copains si j'avais bu, s'il avait mis un préservatif, si j'étais sûre d'être pas un peu une chaudasse, si je portais des sous vêtements, enfin vraiment la totale. C'était juste avant mis tout et. Et du coup, qu'est ce qui s'est passé d'autre? Et j'ai demandé à changer de classe ou à ce que lui change de classe et ça m'a été refusé parce que c'était vu comme un je sais de caprice. Et du coup j'ai passé toute mon année de terminale avec mon violeur qui me soufflait dans le cou exprès à chaque cours et j'ai survécu. Yes! Let's go! Donc du coup, voilà, c'est des choses très concrètes et qui sont d'une banalité malheureusement sans nom puisqu'on le disait. Une femme sur trois doit vivre avec ça et ça a des conséquences très concrètes quoi. Voilà.

00:11:46
 Sébastien: Alors savez, ça m'évite ton sujet en ça. Voilà donc ces remarques sexistes et ces violences sexuelles. On est d'accord qu'elles ne sont pas présentes dans le dans le package masculin. C'est pas inné chez les hommes donc. D'ailleurs Léane, tu développes dans ton livre que ces violences. Elle découle d'un conditionnement social qui a lieu à toutes les étapes de la vie des hommes. Et en tout cas dans le contexte occidental contemporain. On ne va pas parler d'autres pays ou d'autres cultures. Mais ce conditionnement, il passe notamment par un rejet et une dévalorisation de tout ce qui est considéré comme la sphère féminine. Et dans certains cas, elle peut aussi passer par des espaces de socialisation où les femmes sont carrément exclues. Donc ce sont les fameux boy's club dont vous avez peut être entendu parler pour comprendre ces dynamiques sociales. Donc Léane, tu développes l'idée selon laquelle il existerait une sorte de pyramide des masculinité et tu files une métaphore assez intéressante, celle du père avec un grand P. Donc il y a un père symbolique qui n'est pas forcément notre géniteur. Donc est ce que tu peux nous développer ce que tu entends par là? Et est ce que comment est ce que ce concept, il est pertinent pour comprendre comment se construisent les identités viriles dans notre société?

00:12:51
 Florence: Les hommes se distinguent des femmes, donc très concrètement, ça donne les petits garçons qui, très jeunes, vont dire je ne suis pas une fillette parce qu'ils ont compris que du coup il y avait un rapport de domination et que c'était plus valorisant d'être un petit garçon et qu'une fillette, c'était la honte. Donc ils se distinguent des filles, mais ils se distinguent aussi entre hommes, entre hommes. Il y a aussi une compétition qui est très forte et il y a plusieurs masculinité, donc il y a la masculinité hégémonique. Ça, c'est la masculinité qui est la plus valorisée. Donc c'est être un homme blanc. Si c'est héros bourgeois, voilà, avec un passeport européen, enfin tout un ça truc. Après il y a les masculinité complices, donc ça c'est les hommes qui rendent pas totalement dans le cliché mais qui vont essayer d'avoir la validation des hommes de l'hégémonie. Donc par exemple, je sais pas, le gars un peu timide et mal dans sa peau qui va tout faire pour être accepté de l'équipe de foot ou enfin bref, voilà pour être dans le cliché. Ensuite il y a les masculinités subordonnées. Donc là par exemple un mec racisé, un homme homosexuel et marginalisé, donc là c'est vraiment la figure de l'autre. Donc ça peut être par exemple un homme sans papiers, racisés, queer, enfin je ne sais pas vraiment. Il y a une notion de cumul des des des points considérés comme négatifs, quoi, des oppressions et et voilà. Et du coup les hommes sont se distinguent des femmes mais se distinguent aussi entres hommes.

00:14:12
 Léane: Ah oui, pardon, cette figure du père, oui on en revient. Donc du coup il y a une pyramide parce qu'il y a vraiment genre plusieurs couches de masculinité et de masculinité qui sont les plus favorisées, et on est dans une société patriarcale. Et donc en fait, dans les sociétés patriarcales, il y a tout un tas d'indicateurs très concrets. Par exemple, le fait qu'il y ait une monnaie unique, ça, c'est un indicateur qu'on est dans une société patriarcale, par exemple, c'est pas une loi absolue, mais c'est un bon indicateur. Et donc, en fait, ce qui fait que quand il y a une une monnaie unique par exemple, il va y avoir une concentration des richesses assez pyramidale et du coup en haut à la tête, va y avoir des gens qui ont plus d'argent. Et comme par hasard, les personnes qui ont le plus d'argent dans le monde aujourd'hui sont des hommes hétéros blancs qui cumulent les richesses mais aussi qui cumulent ce qu'on appelle le capital symbolique. Donc c'est à dire à la tête des institutions. Ça va être même par exemple à l'Institut du monde arabe par exemple, ça va être un homme blanc qui va diriger, etc. Donc on voit vraiment dans quasiment tous les champs, plus on monte, par exemple, je ne sais pas, dans le champ de l'éducation, il y a beaucoup de femmes professeur des écoles, mais directrices. D'une il y en a beaucoup moins. Donc on voit que dès qu'on monte, en fait, il y a souvent un père symbolique. Il y a des femmes qui peuvent tout à fait être comme les hommes et sur imiter ce modèle là et devenir tout autant voire plus plus oppressives dans des structures de domination. Mais souvent quand même, il y a une figure du père et on est conditionné à adulé, apprécié, le père, le patron, le pape, enfin toutes ces figures d'hégémonie absolue. Et du coup, ce que je développe, c'est que ce n'est pas un hasard si après, dans toutes ces sociétés là, il y a eu des religions monothéistes qui sont apparues et dont le Dieu prend souvent des airs de père pour la majorité des croyants, ce qui n'est pas le cas de tous les croyants. Mais même chez les chrétiens, il y a des il y a des gens qui pour qui Dieu est non genré et queer, je sais pas, mais voilà.

00:15:59
 Florence: Et du coup, parmi les pères symboliques qui existent dans l'espace public en France, PPDA est clairement un exemple frappant parce qu'il était quand même élu personnalité préférée des Français, il était dans les Guignols, et cetera. Enfin voilà, on peut parler peut être de père symbolique. Enfin, je ne sais pas si est ce que c'est, est ce que c'est pertinent? Est ce que tu trouves ça pertinent?

00:16:17
 Léane: Ben oui, surtout qu'en fait, les pères symboliques, ce que j'explique, c'est qu'ils sont ils ont une impunité en fait. Et c'est et c'est pour ça qu'ils cherchent ça, c'est parce qu'en fait il y a. Donc c'est pour ça que je parle de vraiment de culte, et cetera, parce que en fait, derrière ça, il y a un statut quasi divin de je peux tout faire, je suis au dessus des lois, je suis intouchable et en fait il y a une recherche en fait de tout ce que je dis, de pouvoir créer les lois, de pouvoir décider qui rentre, qui sort, qui va monter dans l'échelle. Qui va descendre, qui va être éjecté. Et moi je crée non seulement ces lois, mais en plus je peux les désobéir parce que je suis le boss quoi.

00:16:50
 Sébastien: Mais il y a quand même un besoin de validation constant de la part d'autres hommes, même dans ces milieux là. Dans l'exemple de PPDA, je lisais un article il y a quelques jours en préparant cette cette rencontre que voilà PPDA et Nicolas Hulot, un ou une autre, un autre père symbolique aurait un système de points dans lesquels chaque fois qu'il baise avec une femme, ils s'échangent les points, ils sont en compétition. Et c'est quand même une illustration symbolique de ce concept là, parce que c'est assez frappante. Voilà. Ouf! Je sais pas si tu veux raconter quelque chose Florence là dessus. Donc non.

00:17:28
 Léane: Quand même, je ne savais pas, mais c'est un super exemple ça. Ben voilà.

00:17:31
 Sébastien: Donc Léane une bonne partie de ton essai se concentre sur le fait que l'éducation virile est quand même pétrie d'un injonctions contradictoires. D'une part, on apprend aux hommes à désirer les femmes, mais on apprend aussi à ne pas les considérer comme des individus à part entière, voire même à les mépriser. On leur apprend aussi à chercher l'admiration d'autres hommes et à préférer leur compagnie, mais tout en gardant une espèce de distance de sécurité sous peine d'être perçues comme homosexuelles. Et tu cites de nombreuses situations, de nombreux contextes sociaux qui qui mettent ces contradictions en avant. Par exemple les rugbymen qui qui crient on n'est pas des pédés à répétition avant chaque match. Selon toi, qu'est ce que ça exprime cette ambiguïté chez les hommes hétéros? Et comment est ce que ces injonctions contradictoires, elles peuvent finir par se traduire en violence, que ce soit envers des femmes ou envers des personnes queer?

00:18:21
 Léane: Ben en fait oui, il y a forcément une tension qui naît quand on est ce qu'on appelle en dissonance cognitive. Donc la dissonance cognitive, c'est quand on nous demande de faire ou qu'on fait plusieurs choses qui rentrent en contradiction. Et donc là on voit que l'identité masculine de base repose sur une instabilité, repose sur une ambivalence très profonde, puisqu'on leur demande, pour caricaturer, à la fois d'être amant des femmes sexistes et homophobes. Et si on met les trois bouts à bout, c'est pas possible. Donc en fait, si on essaie absolument de coller à ces trois, à ces trois trucs, ben forcément ça crée une tension en fait, parce que c'est contradictoire. Donc du coup de cette tension, il peut naître un sentiment de frustration et comme on éduque les dominants, et là dans ce cas de figure, les hommes à considérer que c'est la faute du dominé si on est frustré et si on est pas bien, eh ben cette frustration et elle va se reporter soit sur les homosexuels, soit sur les femmes, parce que par exemple, on dit beaucoup que oui, les hommes aussi ils sont victimes de violences, oui, mais en immense majorité ils sont victimes de violence par d'autres hommes aussi, et c'est bien de le spécifier. Donc du coup, du coup, voilà, c'est un peu comme ça que ça peut être pour faire très vite et très raccourci.

00:19:30
 Sébastien: Passons aux femmes. Il y a un passage de ton livre moi qui m'a et qui m'a pas mal marqué que tu as cité. C'est un extrait de la journaliste Marie Harel qui dit Toute leur vie, les femmes sont à degrés divers des reflets dans un œil d'homme, l'homme à l'extérieur et surtout l'homme à l'intérieur d'elle. Ce passage m'a interpellé parce qu'il fait quand même pas mal écho à ce que Florence décrit dans Honte, parce que ce regard masculin internalisé, il se traduit en pratique par une série d'injonctions qui génèrent de la honte chez les jeunes filles en construction. Et ces injonctions, elles peuvent être assez toxiques en pratique. Donc dans Once, tu racontes comment certaines de ces injonctions, parfois contradictoires, ont été fondatrices dans ton expérience personnelle. Est ce que tu peux nous en décrire quelques unes et est ce que ton rapport à ces hontes a changé à la suite à l'écriture de ce livre?

00:20:15
 Florence: Les petites filles sont éduquées avec un certain nombre d'injonctions et c'est vrai que je prends un tout petit une petite expérience personnelle parce que je pense qu'elle, elle dit beaucoup et je ne suis pas la seule à l'avoir vécue. C'est pour ça qu'elle était intéressante. J'étais en sport études pendant pendant dix ans, dès le CP et en fait dès les premières années au gymnase, on me demandait de rentrer mon ventre, on était en justaucorps, donc vraiment on était en justaucorps la moitié du temps de notre scolarité et et les entraîneurs demandaient aux petites filles de rentrer leur ventre mais ne le demandaient pas aux petits garçons. Alors qu'un corps d'enfant, c'est un corps avec un bas, un petit ventre, voilà qui est relâché. Et c'est bien normal, ça s'appelle un corps d'enfant. Et en fait, très vite, nous, petites filles, on a intégré l'idée que laisser son ventre relâché, c'était trop la honte quoi. C'était vraiment et on avait des brimades. Et puis même effectivement, il y a cette espèce de regard masculin déjà intériorisé, tellement petite où on savait bien en tant que petite fille qu'on devait, qu'on devrait par la suite séduire, séduire des hommes et que ce n'est pas en relâchant notre ventre qu'on pourrait le faire. Et donc en fait, ça implique le fait des toutes petites pensées, tout le temps à rentrer son ventre. Mais et ça et ça devient une charge mentale en fait qu'on a tout le long de notre vie et même encore aujourd'hui, c'est tellement intégré, ça fait partie vraiment de mon de non seulement de mon esprit, de ma charge mentale, mais de mon corps. Enfin je veux dire, il y a même. Chez moi quand je suis toute seule et je suis toute seule la plupart du temps parce que je vis seule. Je. Des fois je me dis ah mais oui mais en fait ça sert à rien que je rentre mon ventre. Bah je veux dire, je m'en fous en fait, ça va, même quand je croise un miroir, ça ne me dérange pas. Et ce que je dis dans le livre, c'est que il me semble que le ventre féminin non maternel est un impensé féministe. Je n'ai jamais lu d'écrits féministes qui pensent le ventre des femmes et le ventre non maternel des femmes. Parce qu'il y a. Je pense qu'il y a vraiment un sujet dessus. Mais évidemment, je cite bien d'autres injonctions, notamment notamment à se maquiller pour paraître présentable, mais pas trop, parce que sinon ça fait pute à se par exemple être mince mais pas trop maigre parce que sinon c'est repoussant. Enfin bon, bref, on a des injonctions, des injonctions contradictoires, mais tout le temps. S'habiller un peu sexy mais pas trop. Parce que voilà, enfin c'est en fait la vie d'une femme et j'ai l'impression est remplie d'injonctions contradictoires. Et il faut vraiment qu'on trouve cet équilibre qui est impossible à trouver. C'est vraiment l'exemple de la femme parfaite qui ferait tout parfaitement bien, qui répondrait aux injonctions ça n'existe pas et c'est normal, ça ne peut pas exister, ça s'appelle un idéal et par définition ce n'est pas atteignable. Et donc on a toute une économie qui est basée sur nos hontes, la honte de nos poils, parce qu'il faut que les femmes évidemment s'épilent la honte, alors qu'encore une fois c'est juste un corps humain, la honte de nos rides quand on commence à vieillir et donc on nous vend des entiers rides, la honte de nos cheveux blancs et donc on nous vend des colorations. Bref, et c'est des milliards qui sont brassées par an qui sont vraiment. C'est le business de la honte d'avoir un corps qui juste est un corps qui existe déjà, point, et qui ensuite vieillit parce que c'est le lot de tout le monde et c'est bien normal. Donc ça me saoule en fait qu'évidemment, bien entendu, tout ce business, pas des cosmétiques, de tout ce qui a trait à l'apparence de la chirurgie esthétique qui explose chez les jeunes, ça c'est absolument terrifiant. C'est à dire que les jeunes, aujourd'hui, ils anticipent les problèmes qui vont avoir plus tard. C'est quand même assez terrifiant. Il y a un livre qui est sorti chez Chez La Teste il n'y a pas longtemps sur ce sujet, une enquête. J'ai oublié le titre. Mais. Mais vous les. C'est quoi le bistouri? Possible en tout cas. Google et votre ami ou tout autre moteur de recherche. Mais il y a vraiment un. Voilà toute une économie basée sur les hontes que l'on peut ressentir et qu'on nous a imposé. Fait parce que c'est la société qui nous a qui nous impose ces hontes. Et je trouve ça absolument scandaleux et révoltant et ça me tenait à cœur de les décrypter et de les analyser dans ce livre. Et bien entendu, ce sont des hontes qui le plus souvent sont projetées sur des femmes.

00:24:40
 Sébastien: Alors évidemment, ce regard masculin comme norme, il est aussi en grande partie normalisé dans le paysage culturel. Et il se trouve que dans la littérature féministe, il y a une longue tradition de dénonciation de la place des femmes dans les représentations culturelles au sens large, donc de leur invisibilisation déjà, mais aussi quand elles sont représentées. C'est souvent sous la forme de faire valoir de love interest et plus généralement sous la forme d'un corps fantasmé, voire fétichisé dans certains cas, qui est placé sous ce fameux regard masculin. Donc dans les années 20, c'était relevé par Virginia Woolf qui avait déjà du mal à trouver des livres qui décrivent une amitié féminine. Dans les années 80, c'était Alison Bechdel qui faisait un constat similaire avec son fameux test de Bechdel qui s'applique au monde du cinéma. Et il voit aussi les années. Florence vous dédié une partie non négligeable de vos ouvrages aux limites des représentations féminines dans la littérature, le cinéma ou encore la publicité. Donc aujourd'hui, on a enfin. Moi j'ai l'impression que je parle pour moi tout seul, qu'on a beaucoup plus réfléchi à ces questions de représentativité. On va mettre de plus en avant l'histoire de femmes scientifiques, de femmes racisées. Au cinéma, on voit de plus en plus apparaître des héroïnes badass. Mais. Mais si on se permet de prendre du recul au delà de ces discours là, est ce que vous avez l'impression que les représentations médiatiques des femmes, elles évoluent dans le bon sens aujourd'hui peut être? Léane, Tu veux commencer?

00:26:02
 Léane: Oui, Dans Livre, il y a toute une partie où je parle des loosers, où j'explique pourquoi est ce que les hommes adorent les représentations au cinéma de looser. Il y en a plein de films comme ça, où le gage il est en peignoir tout le temps et en fait, c'est toutes les femmes autour de lui. Ça ne s'est jamais montré, mais genre par exemple je mens sur ça, je n'ai plus aucun mon en tête, mais le truc où ils font la fête et où ils cassent tout là, very bad trip, voilà very bad trip par exemple. Déjà un very bad trip, c'est des gros losers, et puis ils perdent tout, ils se bourre la gueule et tout. Et en fait, ce qu'on ne voit pas à la fin ou qu'on voit tout à la fin, c'est que c'est leur meuf qui galère à organiser le mariage et à tout, à tout remettre en cause et tout. Et j'ai essayé de trouver des films où il y avait des femmes looseuse. Et j'en ai pas trouvé vraiment. J'ai vraiment cherché beaucoup et il y avait aucun film en fait. Genre les femmes il faut qu'elles fassent des trucs héroïques, il faut qu'elles soient incroyablement vertueuses, sinon leur histoire ne mérite pas d'être racontée. Elles ont pas le droit d'être banales. Sinon c'est genre en mode les producteurs ils sont en mode ben pourquoi les hommes ils vont pas s'identifier à elle alors que nous on a appris à s'identifier aux hommes et. Et par contre j'ai vu là récemment un donc un moyen métrage de 40 minutes dans un festival féministe d'une looseuse et que si c'était vraiment une looseuse et c'était vraiment bien et j'étais en mode c'est trop cool. Mais du coup je me souviens plus, faudrait que je regarde le roi David. Bon après c'est une looseuse, mais elle, elle a quand même vécu des violences conjugales juste avant qui explique aussi en partie qu'elle soit une liseuse, donc c'est quand même pas tout à fait pareil. Mais c'était vachement bien et du coup la productrice disait qu'elle avait eu énormément de mal à financer ce film parce que tout le monde lui disait mais ce personnage est horrible, cette femme, elle est odieuse, on ne va pas du tout envie de l'aimer. Genre vraiment. Genre c'est pas possible. Et du coup elle a dû vachement batailler et tout. Et donc c'est vraiment dur. Franchement, quand on va avoir des réalisatrices femmes qui souvent en plus viennent, sont souvent blanches, viennent déjà de milieux très bourgeois. Et même quand on est blanche, hétéro, si de milieu très bourgeois et qu'on est une femme et qu'on veut faire du cinéma, c'est déjà très très dur parce qu'il faut de l'argent. Et en fait les femmes n'ont pas d'argent beaucoup moins et et c'est un puits financier encore plus que d'écrire un livre, parce qu'écrire un livre, c'est un plus financier. Mais. Mais faire du cinéma, c'est autre chose en termes d'économie, d'échelle. Et du coup, je pense que c'est compliqué. Aujourd'hui, dans les séries, il y a beaucoup de représentations LGBT dans les séries de Netflix par exemple, ça commence à arriver un peu, mais c'est toujours des seconds rôles très superficiels, pas forcément attachants. Il y a la série de Lost au boss là, qui est génial, où il y a de très belles représentations queer, qui sont humaines, qui touchent tout le monde, qui ne sont pas là pour placer des personnes LGBT et qui sont vraiment des belles histoires humaines. Donc ça bouge un peu. Mais attention aux retours en arrière. Et on voit qu'aux Etats-Unis, énormément de livres et de films sont interdits, donc faut rester vigilante et il y a encore énormément de travail je trouve. Voilà, merci Dale, c'est même pas 20 % de femmes représentées et je ne sais pas combien de réalisatrices, mais c'est dérisoire quoi. Vraiment?

00:29:07
 Florence: Alors je n'ai pas les chiffres précis en tête, mais il est bien certain que dans les médias en France, les femmes sont évidemment sous représentées quand elles sont invitées. Et quand on les voit dans les médias, elles ne sont pas là en tant qu'experte, mais souvent en tant que témoin ou en tant que victime. Donc là, il y a ça évolue, ça évolue bien évidemment, ça évolue en mieux et c'est une très bonne chose et ça ne va pas assez vite, C'est à dire qu'on aimerait avoir plus de femmes expertes sur les plateaux et on a eu une très très belle d'ailleurs. Illustration pendant la pandémie où quand c'était les femmes qui qui trimaient comme des malades, les infirmières parlaient, ce n'était pas les femmes qu'on voyait sur les plateaux, c'était des experts d'ailleurs, parfois de rien du tout. Voilà, c'était assez hallucinant. Enfin, je me souviens de cette une, je ne sais plus si c'était le Parisien ou Libération ou le Monde, je ne sais plus. La une d'un grand quotidien en tout cas, qui avait donné la parole à quatre hommes pour définir le monde de demain. Bon, quatre hommes blancs, vous voyez, bien sûr, et de plus de 50 ans si mes souvenirs sont bons. Bon, j'apprécie énormément d'hommes de blancs de plus de 50 ans, c'est pas le sujet, mais c'est bien pour le monde de demain de donner la parole à plus de diversité par exemple. Donc on n'y est pas encore. Malgré tout, il y a des raisons d'être optimiste parce que ça évolue alors beaucoup trop lentement à mon goût. Mais en tout cas, en tout cas, c'est des sujets qui ne peuvent plus être balayé d'un revers de la main. C'est à dire que quand les féministes s'expriment dessus, elles ont des chiffres parce que maintenant il y a des données chiffrées et nous sommes écoutés parce que c'est quelque chose depuis Mitou qui ne peut plus n'être qu'un truc de bonne femme. Et c'est en ça que je suis optimiste moi, finalement de manière globale, même si les Hans tu as raison, il faut rester très vigilante, c'est que les ces sujets là, la question de la représentativité, de l'invisibilisation des femmes, la question des violences sexistes et sexuelles, ce sont des ce sont des thématiques qui avant mis tout pour schématiser très grossièrement, étaient un petit peu balayer du revers de la main des gens qui étaient dans les médias à des postes de pouvoir ou en politique en disant ben c'est des trucs de bonnes femmes, ça nous intéresse pas vos trucs. Et puis de toute façon toutes des menteuses et puis voilà, toutes des putes. Enfin bon, bref, je schématise à peine aujourd'hui, ce sont des sujets politiques qui ne peuvent plus être balayés tout simplement. Et donc on en parle, même s'il y a encore de grands progrès à faire. Ce sont des sujets qui sont pris au sérieux et ça me permet de rester optimiste sur bah sur l'avenir, tout simplement parce qu'il en faut quand même un peu d'optimisme.

00:31:48
 Sébastien: Alors, en parlant de somme, parlons d'amour. L'un des mythes fondateurs de nos sociétés occidentales contemporaines, c'est celui de l'amour romantique hétéro monogame. C'est une certaine vision de l'amour qui nous est vendue absolument partout, dans des livres, dans des films, des séries, des chansons. Si on en croit ces produits culturels, il n'y aurait même rien de plus beau. Et cette vision de l'amour romantique aurait même le potentiel de sauver le monde. Rien que ça. Donc on baigne tellement dans cette culture que beaucoup ont l'impression que l'hétérosexualité et l'amour romantique ont existé de tout temps et de façon universelle dans toutes les sociétés du monde. Et certains vont même jusqu'à la voir comme une sorte d'impératif biologique. Alors, ce système normatif, il crée évidemment des injonctions et des discriminations envers des personnes qui ne se reconnaissent pas dans ce modèle et en particulier les personnes queer qui sont souvent vues comme déviantes, voire malades dans certains contextes culturels. Je tiens à rappeler à ce titre que ce n'est qu'en 1990 que l'homme a rayé l'homosexualité de sa liste des maladies mentales et en 1992, l'année de ma naissance, que cette décision a été rendue effective en France. Donc, Léane, ce que tu montres dans ton livre et que j'ai appris au passage, c'est que l'amour romantique et la notion même d'hétérosexualité sont en fait des conceptions qui sont relativement récentes, qui sont apparues au XIXᵉ siècle. Donc est ce que tu peux nous raconter leur histoire dans les grandes lignes et la manière dont ce modèle relationnel a été imposé au point de devenir la norme aujourd'hui?

00:33:16
 Léane: Alors gros sujet sur on va s'arrêter pour ce qui est occidental, sachant qu'on a colonisé 80 % du globe et qu'on a apporté nos normes et valeurs, bon bah voilà. Et ensuite pour alors pour l'hétérosexualité et l'amour romantique, c'est deux choses différentes. L'hétérosexualité à la base, c'est un terme qui vient de la psychiatrie et c'était une pathologie pour un homme d'être hétérosexuel puisque un homme hétérosexuel, c'était un homme qui aimait trop les femmes et c'était considéré comme bizarre parce que ben oui, vu que c'est des êtres inférieurs, si tu t'intéresses trop à un être inférieur, ben tu es un peu chelou. Donc c'était tout autant pathologiser qu'un autre mot qui était l'homosexualité qui était là. Le fait de se conduire comme une femme. Parce qu'en fait le péché des femmes, c'était celui de séduire. Et donc si on séduisait un homme, on devenait une femme un peu par extension. Et ensuite il y avait aussi les féministes. Alors les féministes, c'était c'était une insulte qui équivaut à tapette aujourd'hui et ensuite qui a été repris par les femmes pour défendre les droits, et cetera. Mais à la base, c'était une insulte pour adresser aux hommes qui étaient trop gentils avec les femmes. Vraiment, c'était ça. Et donc ça, c'est des conceptions très récentes, en fait, ce qui est de l'identité médicale, et cetera, Et c'était vraiment dans ce que Michel Foucault, le philosophe, appelle une entreprise de biopouvoir. Donc c'était un peu de pouvoir inciter les gens à l'aveu, à se s'identifier, se cartographier selon des nouvelles dispositions. Une période où il y avait l'hystérie pour les femmes qui était en pleine extension, et cetera. Donc c'était vraiment, il s'agissait de trier les bons sujets des mauvais sujets, donc quelque chose qui pour moi plus tard, a donné un peu les racines du fascisme contemporain, avec cette idée de pureté des corps et de corps qui sont un pur et cetera, ça sentait déjà pas bon. Et pour ce qui est de l'amour romantique, alors là c'est apparu. Alors les gens se sont toujours tombés amoureux de tout temps, de tout lieu je pense, sauf que c'était pas forcément hétéro etc. Et c'est compliqué parce qu'il y a eu un peu plein de phases différentes. Il y a par exemple au Moyen-Age, les chevaliers s'étaient partagé le même lit, avaient des relations amoureuses sans forcément les. Les historiens ne peuvent pas dire s'il y avait des rapports sexuels ou pas. On n'était pas dans lié avec eux. En tout cas, c'était pas dit parce que il y avait des époques où toutes formes de sexualité non reproductive, qu'elles soient hétéro, homosexuelles ou pas, étaient proscrites. Donc voilà, après on a l'antiquité, notamment grecque et romaine. Bon, ça ne sert à peu connu que quasiment la totalité des hommes n'étaient pas étrangers aux rapports homosexuels. Ce qui est marrant, c'est de voir que selon les historiens, ils sont là. C'est vraiment des estimations parce que c'est compliqué. Il y avait quand même une partie des hommes qui restait 100 % hétéro, et ça je trouve que c'est marrant parce que je pense qu'en fait on peut résumer ça très clairement, c'est que c'est comme la nourriture, genre par exemple en Inde, nous on a l'impression que c'est hyper épicé ce qu'ils mangent et tout, et eux ils sont habitués parce que leur bah voilà, ils mangent ça depuis tout petit et cetera. Et nous, en France, on adore, enfin on est habitués à manger du camembert, il y a des gens qui vont pas aimer le camembert, on ne sait pas pourquoi et la majorité des gens vont vont l'aimer parce qu'ils sont conditionnés à ça et c'est avec les désirs romantiques et sexuels. C'est à peu près la même chose, la norme. La majorité se conforme à la norme. Il y a toujours des gens qui dérogent à la règle et on ne sait pas bien pourquoi. Et pour du coup, l'amour romantique c'était c'est de faire vite, mais c'est un peu oublié. C'était du coup avec la bourgeoisie. Donc en fait, quand on a en France, on a renversé l'ancien régime, il fallait réinventer une nouvelle. Une forme de supériorité morale pour que la bourgeoisie puisse asseoir son pouvoir sur les autres en disant Nous devons dominer parce que nous sommes supérieurs moralement. Et ça avant, avec la noblesse, ça passait par le sang et là il fallait passer par autre chose et du coup c'est passé par une nouvelle forme de raffinement qui était l'exaltation des sentiments. Et donc là est apparu le romantisme, au sens où on l'entend aujourd'hui. C'est juste qu'avant par exemple, le fait de tomber amoureux et tout, tout le monde s'en foutait. Est ce qu'on voulait savoir si c'était un bon catho qui respectait bien les préceptes religieux? Si tu allais bien à la messe et tout, Mais alors que tu sois amoureux de Jean-Jacques ou de la fille du voisin, enfin tout, tout le monde sont carré, vraiment, vraiment vraiment. Et maintenant c'est devenu un impératif social, une reconnaissance sociale, un goal vraiment. Et en fait, ce qui est assez intéressant, c'est qu'on voit qu'au fil de l'histoire, ce mythe un peu de genre il faut tomber amoureux, trouver sa moitié dans un an. Et surtout ce truc de c'est le sentiment le plus fort, le plus puissant. En fait, on voit qu'au fur et à mesure que les femmes ont gagné en autonomie, ce mythe est monté en fait comme si c'était passé d'une injonction à l'hétérosexualité qui avant était par une dépendance économique, à ce qu'on appelle un soft power, donc à des représentations culturelles qui vont me pousser à faire la même chose. Et juste pour finir, non mais je crois que j'ai fait à peu près tout. Bref, c'était très caricatural et je sais qu'il y a pas d'historiens dans la salle parce que du coup les précisions ne sont pas là. Mais voilà.

00:38:07
 Sébastien: Merci. Et donc pour terminer, on a quand même pas mal évoqué différents types de violences causés directement ou indirectement par ce modèle hétéronormatif patriarcal. Mais maintenant qu'on a fait ce constat, comment est ce qu'on sort de ce cycle infernal de la violence masculine? Comment est ce qu'on agit à l'échelle individuelle et collective, par exemple dans les médias ou même dans le gouvernement? Comment on fait pour qu'ils servent plus la soupe à des violeurs et à des agresseurs sexuels? Comment est ce qu'on fait pour que la parole des victimes de VSS soit entendue et prise au sérieux? Et comment on fait plus généralement pour repenser les masculinités et les relations amoureuses, amicales, sexuelles, pour développer des liens plus forts, plus sains, plus sincères? Bon, je suis bien conscient que c'est une question ultra vaste, mais selon vous, par quoi est ce qu'on commence?

00:38:56
 Florence: Alors moi je propose un certain nombre de propositions, de solutions, parce qu'évidemment les solutions, je ne les ai pas, mais de propositions pour se débarrasser de la honte d'être une femme, la honte d'avoir été violée, la honte d'avoir été bon, bref, toutes les sortes de honte qu'on peut ressentir. Et pour que la honte change de camp, justement parce que c'est un petit peu l'idée finale, je propose de tourner en ridicule les propos qui sont problématiques, qui entrent pleinement dans la culture du viol et qui n'en sortent pas. Parce que s'il y a bien quelque chose d'extrêmement fragile chez les hommes blancs cisgenres bourgeois hétérosexuels de plus de 50 ans, c'est leur ego. Non, non, mais vraiment et vraiment. Enfin, c'est quelque chose que je constate. Alors il n'y a pas d'études scientifiques. Je pourrais pas en citer, mais je constate le titre. Je ne sais pas si tu connais des je ne sais pas, des psychosociologue, je ne sais pas qui pourrait faire ce genre d'études, mais en tout cas, je constate que l'ego de ces de ces hommes là est extrêmement fragile et que je pense que tourner en ridicule leur propos. Et je tiens bien à dire qu'il faut tourner en ridicule les propos et non pas les personnes parce que je ne veux pas de harcèlement, ça il ne faut pas, c'est pas bien. Mais quand des des hommes défendent des mises en cause de violences sexuelles, ou quand ils tiennent des propos qui entrent dans la culture du viol, en répéter des poncifs et des mythes et des absurdités qui n'ont vraiment aucun sens. Il faut vraiment tourner en ridicule ces propos en fait. Et quand ils seront ridiculisés publiquement sur un plateau télé, devant enfin dans un studio de radio ou devant un public, et que ça se répétera encore, encore et encore, eh bien ils n'auront plus du tout envie de tenir de tels propos. Et peut être qu'on avancera un petit peu dans la disparition de la culture du viol, parce que globalement, il faut se débarrasser du patriarcat. C'est ça la solution. Mais c'est compliqué, on y arrivera pas en un seul jour malheureusement, et je pense que ça peut être une des solutions à trouver. Voilà, ça serait intéressant en tout cas de se faire, je ne sais pas, une fiche avec un type de réponse selon tel propos, parce que toujours les mêmes qui reviennent, on peut faire un bingo, donc se prendre le bingo. Mais c'est vrai, franchement je peux dire je vais le faire d'ailleurs hé hé hé voilà. Et apprendre par cœur bien des réponses que des journalistes, des chroniqueurs, des éditorialistes pourraient sortir quand ce genre de propos arrive, je pense que ce serait. En tout cas, c'est une des solutions que je propose dans mon livre concernant les violences sexistes et sexuelles, je propose aussi d'appliquer tout simplement la loi qui existe sur l'éducation sexuelle à l'école, la loi existant. C'est juste qu'elle n'est pas mise en application. Et d'ailleurs récemment, il y a trois associations qui ont porté plainte contre l'Etat pour justement ne pas appliquer cette loi. Donc une éducation sexuelle à l'école comme la loi le prévoit. Ça me paraît être une solution tout à fait raisonnable à mettre en place. Mais évidemment, il faut des moyens et une volonté politique. Darmanin démission et et voilà. Il y a d'autres, évidemment solutions. Enfin, proposition de solution que je propose. Mais peut être que Léane, toi tu en a d'autres.

00:42:16
 Léane: Moi je suis complètement d'accord avec l'humour, je trouve que c'est super important et d'ailleurs on voit que dans les. Donc dans les pays où il y a un régime dictatorial, l'humour permet vraiment de faire tomber en fait les systèmes de domination et c'est vraiment un outil politique qui est hyper important. Donc je suis complètement d'accord. Et dans les solutions concrètes, c'est compliqué, il y en a beaucoup. Moi je trouve qu'un des trucs aussi, c'est qu'on peut faire assez simplement, c'est ça demande un petit peu d'entraînement, mais c'est d'arrêter d'y aller avec des fleurs ou de parce qu'on va être nous. Nous les femmes, on est vachement conditionné à être dans le cœur et dans l'éducation. Sauf qu'on va être les hommes ne respectent pas ça parce qu'ils ont une mère qui n'a pas été respectée socialement pour le fait de les avoir élevés et qui l'a fait gratuitement. Or on est dans une société capitaliste où ce qui est gratuit n'est pas considéré comme ayant de la valeur. Donc le travail des femmes en fait partie. Donc il a eu maman qui s'occupait de lui gratuitement. Souvent ses sœurs, c'est prouvé, elles font beaucoup de plus à la maison que les frères. Je suis bien placée pour savoir, j'ai deux frères. Ensuite il y a eu, il y a les professeurs des écoles qui aujourd'hui sont en majorité des femmes et après les RH, les infirmières. Et c'était en fait toutes les personnes qui sont dans l'éducation autour des hommes sont des femmes. Et du coup, en fait, comme ce que je disais, les femmes sont dévaluées, eh ben ça fait que la pédagogie, ça ne marche pas avec les hommes parce que les hommes n'apprennent pas à valoriser la pédagogie des femmes. Et en fait, on nous fait croire que genre, par exemple aux féministes, on nous rappelle beaucoup qu'il faut dire les choses gentiment, qu'il faut passer par 1 milliard de détours et en fait, genre c'est vraiment une façon de nous soumettre, mais c'est aussi, c'est aussi une façon vachement de nous soumettre parce qu'on est tout le temps en mode j'ai peur que ça tape, j'ai peur qu'on me tape, mais en fait on va te taper dans tous les cas, donc autant y aller, Let's go! Voilà. Et du coup, je pense qu'il y a un truc où franchement, d'expérience, pour avoir beaucoup côtoyé des milieux masculins parce que j'ai deux frères, j'ai été élevé par mon père et tout. En fait au début j'étais vraiment la féministe qui s'excusait beaucoup là, et du coup je me faisais, me prenais, je m'en prenais plein la gueule et jusqu'au jour où j'ai compris en fait que non, ça allait être comme ça et genre mais ça c'est des trucs qui peuvent, c'est collectif, genre quand collectivement tu arrives et tu dis non, en fait c'est comme ça, on va s'asseoir si tu veux, on s'assoit, on discute là en fait ils comprennent, mais c'est malheureux, mais en fait parce que c'est la façon dont ils ont été éduqués en mode t'as un truc à me dire, tu me le dis, je caricature. Mais du coup, et là j'ai compris que ça marchait beaucoup mieux et que je gagnais beaucoup plus de temps et que surtout j'étais beaucoup moins fatiguée, beaucoup moins stressée. Donc je pense que collectivement il y a ce truc de dire genre en fait on peut ouvrir la fenêtre d'ouverture et on peut aller beaucoup plus loin dans les revendications, dans dans ce qu'on pense être juste, et cetera. Et et ça, la force du collectif fait que quand on est plusieurs à être en mode let's go, si moi j'ose pas sur ça, l'autre va le faire et avec beaucoup de créativité et d'agentivité. Et donc voilà, du coup je sors ça faire un peu méritocratique, mais genre oser collectivement dépasser ce que nous mêmes on a intériorisé comme étant interdit socialement, c'est intéressant.

00:45:28
 Florence: Et merci à Sébastien qui a préparé tout ça d'une main de maître.

00:45:31
 Sébastien: Eh ben merci! Et bah merci à vous en tout simplement d'être venus si nombreux et nombreux, que ce soit en ligne ou sur place. Merci à Axel et Barnabé pour l'aide à la préparation et à la communication autour de cet événement. Agate aussi des éditions JC la qui a émis l'idée de cette rencontre? Vous pourrez retrouver bientôt le replay de cet entretien sur notre podcast Les événements Utopia qui est diffusé sur les plateformes Deezer, Spotify et Arte Radio. Et une fois n'est pas coutume, si cet enregistrement est de qualité, il sera aussi disponible sur le podcast mécréantes de Léane que je vous encourage vivement à écouter et à partager autour de vous puisqu'il est excellent et qui traite de sujets très variés. Sur ce, je vous remercie. Je vous souhaite une belle soirée et je vous dis.

00:46:15
 Léane: À très vite. Merci, merci.